Ce n’est un secret pour personne, les relations entre la France et l’Allemagne ont toujours été conflictuelles dans l’industrie aéronautique. Malgré la création du consortium européen EADS, la lutte entre Paris et Berlin n’a pas cessé. Des divergences symbolisées par de grosses affaires et qui aujourd’hui nous amènent à penser que les rumeurs annonçant la restructuration du tissu industriel européen ne sont pas sans fondements.
Ainsi, alors que la position des deux gros actionnaires Daimler et Lagardère ne sont toujours pas claires malgré certaines déclarations, la rumeur enfle autour de la création de deux champions nationaux. En effet, la France penserait à structurer les activités de Dassault et de Thales pour contrer l’influence croissante des Allemands dans EADS ou de la montée en puissance d’OHB.
Naviguer dans des eaux moins troubles.
Nous le disions précédemment, le consortium EADS est détenu à parité par Daimler et SOGEADE. Le couple franco-allemand détient ainsi 45% du capital du groupe. Or, depuis quelques mois, Lagardère et Daimler souhaitent sortir du capital d’EADS. Un choix qui remet en cause la propriété des deux Etats dans ce groupe hautement stratégique.
En 2007, Daimler a déjà réduit de 7,5% sa participation dans l’avionneur et n’en détient plus que 15%. Le gouvernement allemand a bien été obligé de monter un consortium public et privé pour racheter les parts de l’entreprise. Même topo du côté français puisque Lagardère qui ne détient plus que 7,5% du capital a lui aussi réduit son engagement dans le groupe. Selon certaines sources, le français souhaiterait même faire intégrer les Emirats arabes unis via un fond souverain pour céder ses parts. Malgré ces mouvements, la France et l’Allemagne continuent de détenir 22,5% chacun du capital d’EADS.
Ces stratégies divergeantes mettent à mal l’idée d’une participation forte et engagée des grands acteurs industriels et étatiques européens dans l’aventure EADS. Ceci malgré que Lagardère milite aujourd’hui pour un grand emprunt européen pour l’industrie. Selon Louis Gallois : « Arnaud Lagardère joue son rôle, il a toujours soutenu le management quand il a considéré que cela était sain. Je ne m'associe pas à ceux qui disent qu'il se désintéresse de l'entreprise ».
Toujours pour militer en faveur du grand emprunt européen, Louis Gallois ajoutera : « Notre industrie est sous capitalisée. Le tissu des moyennes entreprises ne peut pas faire l'effort d'investissement que d'autres font, je ne crois pas à une Europe sans usine. L'industrie se fait avec des bureaux d'études et des usines et je rappelle que 75% des clients des entreprises de services sont des industriels. Il y a urgence ».
Inutile donc de tirer à vue sur Lagardère. Si l’actionnaire français souhaite se désengager, il en va de sa propre stratégie de croissance. Ceci d’autant plus que ce dernier affirme « prendre le temps nécessaire pour céder sa participation ». Une décision qui sera difficile à prendre d’autant plus qu’un autre financier, Guy Wiser-Pratte, applique une pression sur le groupe de médias et de défense. Il appartiendra alors à la France de générer un nouvel acteur qui prendra la place du groupe privé pour pallier ce manque d'intérêt de la part des industriels.
Et pourtant, la tempête menace.
Si de tels mouvements entre actionnaires font partie du jeu financier, la tempête menace pourtant. Au menu de futures réjouissances, la montée en puissance du fabricant de satellites allemands, OHB mais aussi l’hypothétique formation d’un nouveau groupe d’aéronautique et de défense avec Dassault et Thales en France.
Face à EADS Astrium, le monde du spatial a pu remarquer la montée en puissance de l’entreprise OHB. Taxée d’entreprise familiale, la société n’est plus aujourd’hui le petit poucet de l’industrie spatiale européenne. En effet, ce ne sont pas moins de deux importants et surtout très médiatiques contrats que les Allemands ont récemment remportés. Alliée au couple franco-italien Thales Alenia Space, OHB a été sélectionnée pour construire les satellites Meteosat de Troisième Génération (MTG), un contrat évalué à plus de 1,4Md€. Il concerne le développement et la construction de six satellites MTG, quatre en version MTG-I et deux MTG-S. La constellation ainsi constituée permettra de fournir à l'organisation météorologique européenne EUMETSAT des données météo toujours plus précises.
Mais au-delà du méga-contrat MTG, OHB peut aussi se vanter d’avoir obtenu la première tranche de fabrication des quatorze premiers engins spatiaux dédiés à GALILEO. Le projet de système de géo-localisation européen prend ainsi forme grâce à cette obtention de contrat. La mise en service de GALILEO n’est pas attendue avant 2015.
Mouvements dans le ciel français ?
Du côté français on est de plus en plus soupçonné de tenter de faire naitre un géant local autour de Dassault et de Thales. « Au lieu de renforcer EADS pour la concurrence internationale, la France crée un nouveau groupe d’aéronautique et de défense » assure Bernhard Stiedl, représentant d’IG Metall au sein du conseil de surveillance de la filiale allemande d’EADS. Particulièrement dans le domaine des drones, cette dualité, si elle existe est de plus en plus perceptible.
Ainsi, pour la fourniture de drones de reconnaissance, la France aura œuvré en faveur du choix de sous-traitants israéliens. Il est vrai que les relations entre IAI, Elbit Systems et les Français ne sont pas à démontrer. Une attitude qui permet à l’Hexagone d’apprendre rapidement pour combler son retard dans le domaine. Mais côté allemand, il semblerait qu'il s’agisse pour certains de sanctionner EADS au profit des entreprises françaises.
Chez Thales, la coopération avec l’industrie aéronautique israélienne est importante. On a encore en tête le premier vol du drone MALE Watchkeeper. Répondant initialement aux besoins du ministère britannique de la défense, le drone se fait sous la supervision de Thales UK et d’Elbit Systems au sein d’une joint venture. Si l’on se rappelle que Dassault et encore une fois Thales sont attendus pour participer au programme Mantis, on continue de voir les avancées françaises dans le domaine. A noter tout de même que le Mantis devrait atterrir dans le giron d’EADS. Mais ces deux projets pourraient continuer de fédérer les efforts français autour du nEUROn dont le maître d’œuvre est Dassault. L'avionneur a enregistré une hausse de 50 % de son chiffre d'affaires au premier trimestre, à 821 millions d'euros, grâce à un nombre de livraisons de Falcon et de Rafale supérieur par rapport à la même période en 2009.
En attendant, les négociations pour la rationalisation des activités militaires de Thales et de SAFRAN sont maintenant au point mort. Les discussions chapeautées par la DGA qui n’a plus les moyens d’entretenir des bureaux d’études concurrents bloquent notamment sur la question des calculateurs embarqués. Pour la Défense, le but principal consiste à rapprocher deux activités redondantes entre Thales et Safran : l'optronique et la navigation inertielle. D'un côté, SAFRAN deviendrait le champion français de l'avionique et de l'aéronautique civile. De l'autre, Thales récupèrerait toute l'optronique (drones tactiques, capteurs, systèmes de missiles, modernisation des avions de combat) et la navigation inertielle de l'équipementier aéronautique. Laissons-nous alors aller à croire que les récentes coupures dans les contrats avec le ministère de la défense auront un impact. Dans ce cas, elles participeraient à la création d’un nouveau champion français.
Ces différentes affaires françaises ne mettent pas plus en confiance nos voisins d'outre-Rhin. En effet, depuis une quinzaine d'années, l'Allemagne recommence à travailler pour re-développer son propre bassin industriel. Dans la région d'Hambourg, c'est un véritable pôle aéronautique qui reprend forme. Pour le futur, tout commence à laisser croire que la France et l'Allemagne vont s'affronter ouvertement sur ce terrain. Or, cette politique d'accroissement de puissance industrielle aéronautique des deux côtés du Rhin n'est elle pas en contraction avec l'idée même du consortium européen ? L'optimisation du modèle industriel de l'avionneur ne cache t'il pas plutôt une lutte acharnée pour contrôler l'aéronautique et la défense en Europe ?
Michael Colaone.