En Russie, la quasi-totalité des satellites de télécommunications sont développés et produits par une entreprise appelée ISS Rechetniev, basée en Sibérie, dans la ville fermée de Zheleznogorsk. Depuis quelques années, cette entreprise, qui peut se vanter d’avoir lancé plus de 1200 satellites – un record absolu – travaille en (très) étroite collaboration avec l’industrie française.
Le délabrement de l’industrie russe des satellites
Tout le monde le sait, ce sont les Russes qui ont mis sur orbite le tout premier satellite de l’Histoire, que les Occidentaux ont surnommé « Spoutnik ». Sous l’impulsion de l’Armée Rouge, c’est toute une industrie qui a ensuite été créée pour répondre aux besoins toujours plus importants en matière de télécommunications spatiales.
Au fil des années, les Russes se sont ainsi dotés de toute une flotte de satellites de télécommunications, dont les performances n’avaient vraiment rien à envier à ceux de leurs camarades de l’Ouest.
Mais une longue période de disette a suivi ces « trente glorieuses » version Slave. A partir des années 1980, plus un kopeck n’a été investi dans la R&D, et les entreprises comme ISS Rechetniev ont continué pendant deux décennies de produire en série des satellites dont la technologie remontait aux années 1970.
Pendant ce temps, l’Europe créait l’audacieux lanceur Ariane (quand on dit « audacieux », on parle bien sûr uniquement des cinq premières versions), qui allait permettre d’émanciper le marché mondial des télécommunications par satellite, jusque là réservées à des usages limités, principalement gouvernementaux.
L’industrie des « satcoms », comme on les appelle maintenant, venait de naître et ceux-ci deviendront, années après années, toujours plus gros et plus performants. En Europe, Astrium (Toulouse) et Thales Alenia Space (Cannes) ont su saisir la vague, et sont devenues depuis des leaders mondiaux dans ce domaine.
Près de quinze années de coopération
A la fin des années 1990, la scission Est-Ouest est devenue flagrante. Les Russes savent toujours construire des plate-formes, c'est-à-dire la structure des satellites, avec ses moteurs et ses systèmes d’orientation, mais ils sont complètement dépassés dans le domaine des répéteurs, ces boîtiers bourrés d’électronique de pointe qui retransmettent les signaux, et qui constituent donc la clé de voûte des satcoms.
En 2000, alors que la Russie est au plus profond d’une crise économique absolument sans précédent dans le monde civilisé, ISS Rechetniev décide de s’associer avec Thales Alenia Space (TAS) pour construire le satellite SESAT (Sibérie-Europe-SATellite).
L’idée est simple : les Russes fournissent la plate-forme, et les Français poseront dessus leurs fameux répéteurs, fer de lance de l’entreprise cannoise. La mission est un véritable succès, et ISS Rechetniev ne compte pas en rester là.
Depuis l’épisode SESAT, en effet, plus un satcom sibérien ne décolle sans un minimum de matériel français. En plus des répéteurs de TAS, ce sont aussi les batteries bordelaises de SAFT ou les capteurs stellaires franciliens de SODERN qui volent sur les satellites russes « new generation ».
Une coopération en toute innocence ?
Au vu de ces nouvelles amitiés transouraliennes, on pourrait croire que l’époque soviétique est bien loin derrière nous. Les Russes ont dû finalement acheter un exemplaire de la Main invisible d’Adam Smith, et ont probablement enfin adhéré à la notion de libre-échange…
ISS Rechetniev, lors du dernier Salon du Bourget, distribuait une version traduite de son magazine interne, dans lequel on pouvait lire un article passionnant écrit par le PDG en personne, Nikolaï Testoïedov.
De manière assez surprenante, cet article fait preuve d’une franchise totale en ce qui concerne la politique à long terme du groupe. Testoïedov commence par avouer sans langue de bois que les matériels russes sont complètement obsolètes, et que son entreprise ne pourrait pas rester compétitive sans la technologie française.
Il poursuit en expliquant que les équipementiers russes investissent maintenant des sommes importantes en R&D, et cite l’exemple des producteurs de batteries Li-Ion, qui « ont compris la nécessité de pénétrer le marché » et qui deviennent « progressivement capables de produire eux-mêmes des alimentations électriques ».
Pour M. Testoïedov, cette montée en puissance progressive de l’industrie russe montre qu’elle est « sur la bonne voie pour augmenter la part de composants nationaux » dans les satellites. Il ajoute que son entreprise travaille « au profit des capacités de Défense nationale et de l’indépendance économique de la Russie », avant de conclure par une citation de Karl Marx ventant les mérites de la compétitivité...
Contrairement aux Chinois, qui prétendent copier des A320 sans aucune volonté de s’en approprier les technologies, les Russes d’ISS Rechetniev affichent donc clairement leur objectif.