Nous le savons désormais, le feuilleton A400M a trouvé une fin heureuse puisqu’il est désormais acquis que l’avion de transport tactique européen volera. Au terme de bras de fer et de négociations parfois brutales, EADS et ses clients ont trouvé un accord.
Les six États européens, plus la Turquie, vont avancer pas moins de 3,5Md€, soit la moitié des 7,6Md€ de surcoûts identifiés sur ce programme. Une bonne opération pour le groupe européen, qui aurait peut-être pu supporter la totalité des surcoûts. Reste que cet apport d’argent frais sera une bonne chose pour les futurs programmes A350 et A320, sans parler des difficultés de l’A380.
Lagardère et Daimler veulent se désengager.
Du fait de sa multinationalité, le consortium EADS est détenu à parité par Daimler et SOGEADE. Le couple franco-allemand détient ainsi 45% du capital du groupe. L’État espagnol est lui aussi directement impliqué dans la vie du géant européen. Il détient via sa holding d’État SEPI 5,48% du capital. Le flottant varie ainsi en fonction des mouvements de ces grands actionnaires majoritaires autour de la moitié.
Or, depuis quelques années, Lagardère et Daimler souhaitent sortir du capital d’EADS. Pour commencer avec l’actionnaire allemand, il s’est récemment illustré en faisant pression sur les négociations pour le financement de l’A400M. Pour ne pas peser sur son bilan, l’entreprise a influencé les prises de décisions.
En 2007, Daimler a déjà réduit de 7,5% sa participation dans l’avionneur et n’en détient plus que 15%. Le gouvernement allemand a bien été obligé de monter un consortium public et privé pour racheter les parts de l’entreprise. Cet accord devrait tenir encore jusqu’en 2013. En jeux pour le pays, le contrôle de sa participation dans cette activité stratégique. Pourtant, pendant trois ans Berlin a bien cherché à remplacer Daimler par un autre actionnaire privé. Un temps pressenti, ThyssenKrupp n’a pas donné suite.
Du côté français, Lagardère est aujourd’hui bien connu pour avoir retiré de sa participation lors des problèmes de mise en production de l’A380 en 2006. L’avion géant a effectivement subi des problèmes dans sa production qui ont sensiblement retardé sa livraison aux clients finaux. Échappant aux soupçons de délits d’initié, Lagardère s’était désengagé juste avant que le titre de bourse plonge.
Malgré tout ce remue ménage, la France et l’Allemagne continuent de détenir 22,5% chacun du capital d’EADS.
Aujourd’hui, Lagardère souhaite faire rentrer les Émirats arabes unis dans le capital d’EADS. Évidemment, on imagine bien que les Émirats seraient intéressés par une telle entrée dans le capital de l’avionneur. On ne sait pas quelle place prendraient alors les Émiriens. Entre la place laissée par Lagardère et celle laissée par Daimler, ils auraient le choix. Reste que comme son nom l’indique, European Aeronautic Defence and Space est un groupe européen. L’entrée d’une puissance non européenne dans EADS serait alors critiquable.
Quand on prend en compte la dimension stratégique de l’activité pour les pays européens, une telle ouverture semblerait étonnante. Ceci d’autant plus que d’autres États européens seraient peut-être intéressés. Reste que les Émirats sont de très bons clients et depuis longtemps. Si le groupe délocalise la production de certains composants dans ce pays, une entrée au capital de l’avionneur fidéliserait un peu plus cet amateur d’armement de très haute technologie. Il est entre autres clients du KC-330. Mais comme nous le savons au travers de différentes affaires, les Émirats arabes unis entretiennent d’excellentes relations avec la France. Une bonne entente qui pourrait déplaire à l’Allemagne.
Mais quid alors de la construction d’un groupe européen ? L’Europe a déjà suffisamment de mal à se bâtir pour que ses symboles lui fassent faux bon. Mais en ces temps de crise, la diversification du capital est une option à sérieusement envisager en dehors de toute considération idéologique. Ceci d’autant plus que ce n’est pas forcément contradictoire.
Trouver de nouveaux actionnaires européens serait une bonne chose, même si la prise de décisions serait encore plus lourde qu’actuellement. Grâce à la crise, qui a touché particulièrement Daimler en tant que fabricant d’automobiles, nous avons vu les conséquences sur EADS. Avec des actionnaires différents, l’activité du consortium pourrait être plus stable même en période de crise économique. Rappelons aussi que les Émirats ont eux aussi souffert. Les difficultés économiques de son émirat le plus riche, Abu Dhabi ne sont plus un mystère.
Dans tous les cas, cette nouvelle affaire démontre le manque d’envie des grands acteurs économiques européens, et particulièrement français et allemands, de s’impliquer dans EADS. Au-delà de la dimension idéologique d’une telle action, les acteurs privés ne semblent pas convaincus. Alors que le consortium affiche de bons résultats puisqu’il a notamment pris la première place de Boeing sur le marché des avions civils, ces résultats peinent à convaincre.
Peut-être est-ce cette rivalité politique et économique entre les actionnaires qui rebute de nouveaux participants. Une chose est sûre, malgré son potentiel à l’export le feuilleton de l’A400M n’a rien de bien motivant.
Michael Colaone.