Dans cette bataille que se livrent les deux avionneurs pour décrocher le méga-contrat des ravitailleurs de l’armée de l’air américaine, tous les coups semblent permis.
Même s’il est difficile d’être vraiment pertinent avec un regard extérieur, cette affaire symbolise une nouvelle fois les différences d’approche des deux côtés de l’Atlantique.
Qui deviendra alors le futur KC-X de l’US Air Force ?
Il semble que la route sera encore longue pour Airbus Military pour s’imposer aux Etats-Unis.
D’abord c'est EADS qui aura laissé planer le doute sur une nouvelle candidature sur un appel d’offres une nouvelle fois relancé. Ensuite, ce sera au tour de Boeing de mettre la pression sur le Pentagone, dénonçant une compétition biaisée en faveur de l’avion européen. Au final, chacun des deux protagonistes prend évidement le départ de cette nouvelle manche que les aviateurs américains espèrent être la dernière.
Une offensive tous azimuts chez Boeing.
Pour remporter la course pour le remplacement de la flotte vieillissante de KC-135 de l’US Air Force, Boeing souhaite mettre toutes les chances de son côté. Vexé par la montée en puissance insolente de son rival européen, ce contrat est symbolique pour l’avionneur américain qui se fait une nouvelle fois attaqué sur ses terres.
Avec cette nouvelle relance de l’appel d’offre pour le KC-X, Boeing aura d’abord attendu de savoir si EADS allait tout de même tenter sa chance après le désistement de son ex-partenaire américain, Northrop Grumman. Nous savons désormais que le consortium européen ne baisse pas les bras et s’entoure de nouveaux partenaires pour satisfaire au cahier des charges.
Faire ressortir le dossier OMC pour tenter une première déstabilisation.
Face à cet esprit combatif que nous ne pouvons qu’encourager, l’avionneur américain va sortir ce qui pourrait être ses dernières cartes face à un A330 MRTT qui se fait de plus en plus menaçant. Du coup, c’est le vieux dossier de l’OMC et des subventions jugées illégales par Boeing qui ressort.
Alors que les Etats-Unis avaient affirmé que cette affaire ne serait pas mélangée au contrat KC-X, l’avionneur tente le tout pour le tout. Il sera alors peut-être jugé dommage qu’EADS n'ait pas contre-attaqué sur ce même dossier. Rappelons-le une nouvelle fois, Boeing est également sous le coup d’une enquête de l’OMC pour les mêmes raisons que le consortium européen. L’OMC doit d’ailleurs bientôt statuer sur cette affaire.
Les dirigeants de Boeing se sont dit "profondément préoccupés par la capacité d'Airbus Military/EADS, massivement et illégalement subventionné, à supporter des risques financiers que nous ne pouvons pas endosser d'une manière qui dénature la concurrence", a déclaré un porte-parole de Boeing, Dan Beck. Une réaction agressive surtout après que les Etats-Unis aient été largement taxés de protectionnisme dans les récents remous qui auront animés cette affaire. On se souvient du sursaut de fierté européen qui aura amené le président Barack Obama à marcher sur des œufs pour calmer le Vieux Continent.
Quelles conséquences aura le vote récent de la Chambre des représentant en faveur d’une résolution portée par Boeing ? S’il doit encore passer devant le Sénat et sous la plume du président Obama, ce texte imposerait au Pentagone de tenir compte de tout « avantage compétitif inéquitable qu'un candidat pourrait détenir » dans l'évaluation des appels d'offres portant sur des systèmes de Défense majeurs. Le Pentagone devrait alors prendre en compte les aides allouées à la réalisation de l’A330, dont la cellule sert de base à l’A330 MRTT. Reste alors à savoir si l’OMC prouvera que Boeing jouit lui-aussi d’aides gouvernementales pour le développement de ses appareils comme le B787, qui sert aussi de base au NewGen Tanker ici en course.
Jouer alors la carte de la préservation de la Sécurité Nationale.
Si Washington s’est engagé politiquement à ce que ces dossiers de l’OMC ne s’invitent pas à la fête, Boeing va aussi repasser à l’offensive sur le plan politique. Nous savons que les deux avionneurs ont clairement mis en place une stratégie de lobbying intense, aidés par différents hommes et femmes politiques américains. Sur ce plan, on aura régulièrement observé une sorte de statu quo entre les différentes tentatives d’influence.
Cependant, aux Etats-Unis, la carte que joue de plus en plus Boeing a de quoi faire vibrer EADS. Sur ce contrat évalué dans un premier temps à 50Md$, Boeing met en avant le risque de perte de souveraineté nationale. Un argument qui porte de l’autre côté de l’Atlantique qui, comme ça peut parfois être le cas en France est attaché à son indépendance dans cet industrie hautement stratégique.
Pour Tim Keating, qui s’expose logiquement sur ce dossier, la question se pose : « Qu’arrivera t’il si une entreprise étrangère fournit nos ravitailleurs ? Pourront-ils et voudront-ils utiliser ces composants et ces avions pour contrecarrer la politique américaine ? Quels recours avons-nous ? ». Arguant que la majorité des appareils proposés par EADS seront produit en Europe puisque l’avion se base sur l’Airbus A330, il demande un débat sur l’avenir de la souveraineté technologique américaine sur cette question : « Nous devons avoir un débat politique au Congrès et au gouvernement sur les implications sur la Sécurité Nationale qu’aurait le choix d’une entreprise détenue pour un groupe européen (EADS North America) et construisant une composante majeur de notre armée. Mais aussi sur l’impact économique qu’une telle décision aurait sur notre tissu industriel. »
Et puisque cela ne suffit pas, Boeing se permet aussi de monter au créneau en dénonçant des « tentatives » européennes de vendre du matériel de Défense à des pays comme l’Iran. Citant notamment un rapport de NBC News datant de 2005, Boeing se plait à argumenter sur des négociations entre EADS et le pays en question pour fournir des hélicoptères. EADS « continue de faire du commerce avec des pays qui sont hostiles aux Etats-Unis », a déclaré Tim Keating, le vice-président des relations de Boeing avec les Etats.
Une réaction criticable au vu des antécédents publics de l’avionneur américain. Le Département de la Défense a d’ailleurs balayé ces accusations en déclarant qu'il « n'aurait pas accepté la participation d'EADS North America à cet appel d'offres important s'il ne s'était pas agi d'une entreprise qui jouit d'une bonne réputation au sein du Département de la Défense », a déclaré un porte-parole du Pentagone. Un porte-parole d'EADS North America a estimé que Boeing montait une campagne de désinformation, ajoutant qu'en faisant de telles déclarations, l'avionneur américain mettait en cause le discernement du Département de la Défense.
Tenter une nouvelle attaque, sur le front économique cette fois.
Depuis quelques semaines, Boeing détaille pour le grand public les répercussions économiques qu’aura la sélection de son Boeing NewGen Tanker. Outre une campagne d’information qui n’a pas son équivalent en Europe pour gagner le cœur du contribuable, Boeing joue sur cette corde ultra-sensible en ces temps difficiles.
On a pu constater qu’en théorie la sélection du ravitailleur de Boeing allait apporter 680 emplois et 32M$ par an à l’Etat de l’Arizona, principalement à Phoenix. Boeing rappelle en passant qu’il emploie prêt de 4 800 personnes dans cet Etat tout en faisant appel à 570 personnels de sous-traitants locaux pour un impact économique évalué à 1,1Md$ par an.
C’est un peu le même topo que met en avant l’avionneur pour le Michigan. Un état durement touché par la crise du secteur automobile pour lequel il prévoit 25M$ de retombées par an. Au Texas, on passe dans une autre dimension avec la création de 2 500 emplois. Les retombées sont là évaluées à 125M$ par an avec la participation de Parker Aerospace et de Vought Aircraft Industries. Enfin, c’est l’état de Californie qui semble le mieux loti avec la création de 4 500 emplois. Les retombées économiques devraient atteindre les 233M$ par an avec l’implication d’une centaine de sous-traitants. Boeing emploi déjà directement 25 000 personnes dans cet Etat, le plus riche et donc le plus influent du pays. Quelques noms circulent pour les systèmes critiques des futurs appareils : Alarin Aircraft Hinge Inc, ITT Industries, Lamsco West Inc, Raytheon, Sonic Industries et Tuffer Manufacturing.
Enfin, on pourra noter l’officialisation de la participation de l’italien Finmeccanica à cet appel d’offres auprès de Boeing. Via sa filiale américaine DRS Technologies, le groupe de Défense assurera aux côtés du groupe américain le design du cockpit et la construction du système de ravitaillement en vol. Finmeccanica a également annoncé avoir remporté un contrat de 319M$ (266M€) pour la livraison de huit avions de transport C-27J à l'US Air Force.
EADS : Faire face à l’adversité sans pour autant faire d’erreur.
Si le consortium se permet de viser l’expansion sur le marché américain, ce n’est pas un exercice facile. Dans le cas du KC-X, Airbus Military concourt avec le meilleur avion et pourtant, cela ne suffit pas malgré un prix rivalisant avec une offre américaine technologiquement moins avancée. Et pourtant, le Pentagone et même l’influente NRO milite pour un remplacement « as soon as possible » des capacités de ravitaillement en vol de l’US Air Force. Du coup, c’est l’A330 MRTT qui tire une nouvelle fois son épingle du jeu alors que les capacités américaines seraient de 20% inférieures aux besoins réels.
L’A330 MRTT peut être aujourd’hui considéré comme l’offre la plus aboutie du marché. L’avion vole déjà au sein de plusieurs Forces Armées et continue d’évoluer. On aura d’ailleurs pu découvrir les premières images d’un A330 MRTT ravitaillant en vol un autre A330 MRTT. Une nouvelle étape concrète pour le programme de développement de l’appareil dont le système « fly-by-wire (ARBS) » surclasse l’offre existante de la concurrence.
L’Australie dresse actuellement un bilan sans accroches pour le ravitailleur européen. Cette année, Airbus fête sa dixième année d’activité sur le segment des « Multi Role Tanker Transport (MRTT) ». Une activité lancée en 2000 suite au désir de l’armée de l’air allemande de se doter d’A310 MRTT. Mais en réalité, le constructeur européen peut se baser sur un savoir-faire développé depuis 1976 par la France. Par l’intermédiaire d’Aerospatiale, MBB et VFW (toutes absorbées par EADS), cette expertise commença grâce C-160NG Transall doté de capacités de ravitaillement en vol. On pense aussi aux VC10 demandé par l’armée de l’air britannique.
Une date anniversaire qui tombe à pic alors que cet argument d’excellence fait mouche sur tout client potentiel face à un B787 NewGen qui n’existe que sur le papier. D’ailleurs, « la loi Boeing (dont nous parlions plus haut) est une tentative de plus pour éviter une compétition sur le mérite des tankers », a déclaré Guy Hicks, porte-parole d'EADS North America. « A la différence d'EADS North America, Boeing n'a pas de ravitailleur qui réponde aux exigences. Il se retrouve face à un risque technique énorme en en produisant un ».
Cet optimisme chez EADS se concrétise par ailleurs par le recrutement possible d’une équipe de production en anticipation de l’attribution du contrat. Rappelons que les dernières propositions des avionneurs sont attendues pour le 8 juillet avec une décision « finale » prévue pour octobre ou novembre.
En Espagne, où sont convertis les A330 MRTT pour les quatre premiers clients, on prend ses marques. Quatre versions sont en cours de conversion. Ils sont à destination de l’Australie, des Emirats arabes unis, de l’Arabie Saoudite et du Royaume Uni. La Royal Australian Air Force qui exploite l’appareil sous la dénomination KC-30A MRTT et qui va recevoir 4 500 composants individuels pour continuer de faire évoluer sa flotte cinq avions de ce type.
Avec l’arrivée du premier des trois exemplaires destinés au Emirats arabes unis, les chaines espagnoles n’en sont plus aux premiers réglages. Outre les avions en conversion, deux appareils volent pour l’obtention de leur certification finale. Pour Antonio Caramazana : « Nous sommes tout proche de livrer notre premier exemplaire cette année. Tous ces programmes montrent d’excellents progrès. Ils démontrent aussi l’excellente maturité du process de conversion. »
Ainsi, la nouvelle division d’EADS, Airbus Military, qui produit les avions dans cette conquête des marchés mondiaux par l’A330 MRTT s’appuie sur une expérience déjà solide. Une organisation qui n’a inspiré nul autre que Boeing. L’avionneur a annoncé début mai la création d’une division « Airlift and Tankers (A&T) ». Reste alors à continuer à croire en les chances de l’avionneur européen pour remporter cette bataille sans merci : « Je parierais même que nous décrocherons le contrat » a déclaré Louis Gallois.
Michael Colaone.
Toujours à découvrir, les sites de Boeing : The Real American Tanker sur lequel vous pouvez toujours participer au lobbying de Boeing ou découvrir des documents comme EADS : Lost in Translation ou participez à un "Tanker Test" pas du tout orienté. Et si cela ne suffit pas, rendez-vous sur The United States Tanker pour obtenir votre auto-collant officiel de supporter.
Et retrouvez aussi bien-sûr le site dédié à l'A330 MRTT.