Alors que la défaite était clairement en vue pour l’A330 MRTT (Multi Role Tanker Transport) sur le contrat des avions ravitailleurs de l’armée de l’air américaine (USAF), un sursaut de fierté politique l’a soudainement remis en scelle.
Après le désistement de son partenaire Northrop Grumman qu’il faudra un jour remercier, EADS fait aujourd’hui cavalier seul pour contrecarrer les plans de Boeing. Une décision difficile à prendre mais nécessaire compte tenu des signes clairs de protectionnisme américain.
Portée par des exclamations politiques trop rares, voici que le Pentagone doit une nouvelle fois revoir la liste de ses participants à son appel d’offres pour son futur KC-X.
Mais au-delà du sursaut de fierté observé en Europe, il s’agirait plutôt pour EADS de continuer à faire front sans grande conviction face à Boeing. Un front qui souhaite empêcher l’avionneur américain de marger au maximum sur ce nouveau contrat géant. Car au final, sans allié américain l’A330 MRTT a-t-il vraiment une chance de l’emporter ?
La perte de son allié américain modifie la donne pour EADS.
Annoncé comme un élément clé dans le dossier depuis le début, la participation de Northrop Grumman dans la candidature de l’A330 MRTT est désormais reléguée au passé. Si on ne connait pas clairement les raisons de ce désistement, on imagine des pressions politiques et économiques fortes. Pour beaucoup, le contrat KC-X doit permettre de soutenir fortement l’industrie aéronautique de défense américaine. Une industrie en mauvaise posture notamment face à une compétition de plus en plus agressive. Bercés par un nationalisme fort, les élus américains prennent largement en compte les revers de Boeing ou d’autres grands noms de l’aéronautique américaine.
Ainsi, Boeing publiait la semaine dernière un chiffre d’affaires en baisse de 7,8% à 15,2 milliards de dollars. Un chiffre qui inquiète d’autant plus que le carnet de commandes a lui aussi maigri. Une baisse imputable principalement à la baisse des commandes d’appareils liée à la crise et à la compression des budgets militaires. Le constructeur a livré 108 appareils au premier trimestre contre 121 l’an dernier. Mais au-delà de l’impacte médiatique que ces informations peuvent avoir, n’oublions pas que le bénéfice de 519 millions de dollars réalisé par Boeing a été plus élevé que prévu en ce début d’année (610 millions l’année dernière). L’occasion également pour certains élus républicain de tacler une nouvelle fois la réforme de la santé voulue par Barack Obama et qui aurait des répercussions sur les activités de Boeing.
Au-delà de Boeing, d’aucuns mettront en avant les difficultés d’un autre poids lourd du secteur, Lockheed Martin. Le groupe de défense a fait état d’une baisse de 22% de son bénéfice au premier trimestre et revoit à la baisse ses perspectives sur l’année.
Autant dire qu’EADS avait tout intérêt à chercher un nouvel allié outre-Atlantique. Alors que le Pentagone laissa planer l’idée de clôturer l’appel d’offres plus tôt que prévu après le retrait de Northrop Grumman, c’est finalement un délai supplémentaire qui fut accordé à EADS pour modifier son dossier. Pour ce marché de l’ordre de 26 milliards d’euros pour une première tranche de 179 appareils, la nouvelle fut accueillie modérément et même exclue par certains élus tels que les sénateurs Sam Brownback et Pat Roberts et le représentant Todd Tiahrt, tous élus républicains du Kansas où Boeing détient une importante usine de production. Evidemment, Boeing s’est aussitôt dit « profondément déçu » par les démarches d’EADS en vue d’obtenir un délai supplémentaire. Une déclaration de bonne guerre alors que Boeing se voyait déjà négocier de manière exclusive avec un Pentagone qui ne pouvait plus faire jouer la concurrence pour réduire sa dépense.
Cependant, il faut dire que dans le jeu de la libre concurrence, il n’y habituellement pas de deuxième chance pour les perdants. Si le retrait de Northrop éveille en nous des questions, il constitue surtout une défaite pour les Européens qui n’auront pas su fidéliser leur allié face à la déferlante médiatique, politique et économique.
La décision politique de Barack Obama pour calmer l’Europe.
La France aura surement été la plus virulente à dénoncer « un manquement grave aux règles qui sont celles d’une concurrence loyale entre nos économies ». Le premier Ministre, François Fillon aura été de ceux qui seront montés au créneau. De même que l’Allemagne (assez tempérée) et la Commission Européenne qui ont vivement réagi à « ce nouveau développement et de ses possibles implications ». Pour le député Bernard Carayon, qui souhaite visiblement jouer au même jeu que ses homologues américains, il y a corruption : « On ne peut pas jouer avec des tricheurs ». Côté allemand, on estimera aussi que « manifestement la pression politique a été telle qu’on a fait un appel d’offres sur mesure pour Boeing ».
A noter que Jim McNerney, le PDG de Boeing va devenir conseiller du président Obama sur tous les problèmes d’exportations. Chez EADS North America, c’est Arthur Lichte, général venant de prendre sa retraite de l'armée de l'air américaine qui vient de rentrer au conseil d’administration de la filière nord-américaine. Un joli tir croisé qui symbolise les ambitions des deux concurrents.
Profitant d’une décision politique souhaitant garder le calme chez les Européens, EADS s’est lancé dans la recherche d’un nouvel allié en urgence. Une décision mystérieuse mais peut-être motivée politiquement alors que le groupe annonce aujourd’hui faire cavalier seul. Louis Gallois avait pourtant déclaré : « Si nous n’avons pas été capable de gagner avec notre partenaire, alors je ne vois pas comment nous pourrions gagner seul. » Mais gardons à l’esprit que pour EADS, tout ce remue-ménage pourrait n’avoir d’autre but que de faire baisser les marges de Boeing. « Quand on dispose du meilleur appareil, on ne peut pas ne pas le proposer », a déclaré Ralph Crosby, le président de la filiale nord-américaine du groupe, bien décidé à emporter la troisième manche de ce projet lancé il y a bientôt dix ans.
Si le prix sera un élément déterminant dans le dossier, la production d’équipements sensibles aux Etats-Unis en sera un autre. Ainsi, EADS en tant que maitre d’œuvre a obtenu un délai allant jusqu’au 9 juillet pour remettre une nouvelle proposition. Mais rallier un nouvel allier n’est plus une obligation puisqu’EADS a été autorisé à répondre seul à l’appel d’offres (sans un partenaire américain habilité à partager des informations sensibles). Cependant, la décision du Pentagone sera alors attendue pour l’automne, période d’élection outre-Atlantique.
De fait, EADS subit les pressions de Boeing et des élus politiques. Un poids qui n’aura pas encore permis au groupe européen de rallier un poids lourd américain à sa cause. En dehors des sous-traitants existants comme GE ou Honeywell et d’environ 200 équipementiers , EADS va devoir faire cavalier seul. Un temps envisagés, L-3 Communications, BAE Systems et Raytheon n’auront pas donné suite. Mais pas de quoi déstabiliser plus EADS North America : « A l'époque, notre avion était encore en projet, et nous avions besoin d'un partenaire local. Aujourd'hui il vole, et nous avons fait la preuve de nos capacités de maître d'œuvre. L'avion demandé par le Pentagone est très proche de celui que nous avons développé pour l'Australie » selon Sean O'Keefe, directeur général. En face, Boeing n’a un avion que "de papier" basé sur un B767 remanié.
Pour la suite, EADS prévoit de construire une usine de production à Mobile, dans l’Etat d’Alabama. Cette dernière produira des KC-45 (A330 MRTT) ainsi que des A330 Cargo. Dans le cas de la version dérivée de l’A330MRTT, 60% des composants seront en fait fabriqués aux Etats-Unis. Pour les Européens, le projet d’Airbus créera autant d’emplois sur le sol américain que celui de Boeing. De quoi faire renoncer bon nombre de détracteurs.
Michael Colaone.
Cet article sera suivit par une description de la politique d'expantion d'EADS en Amérique du Nord.
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