Après le taulé qu’auront soulevé les soupçons de protectionnisme américain et qui d’une certaine façon force la main aux Américains, EADS continue d’adopter une attitude agressive sur ce marché.
Après avoir obtenu un accord politique en vue d’une sélection « libre et juste » pour le KC-X, le consortium voit plus loin. Il s’agit entre autres de ne pas perdre le pari de s’implanter durablement aux Etats-Unis et donc de produire en dollars malgré cette affaire. C’est un objectif stratégique pour le groupe qui s’inscrit dans son plan « Vision 2020 ».
Pour les Européens, il s’agit de déstabiliser Boeing sur ses marchés principaux. C’est pour cela que le débat du KC-X est maintenu au maximum sur la scène politique. Ceci afin de préparer l’avenir du groupe en faisant sauter les verrous protectionnistes.
En vue, des marchés de services, liés à l’espace ou la sécurité. Des pans de l’activité du consortium qui seront amenées à grandir pour réduire la part de dépendance envers Airbus dans l’activité. La défense se profile alors comme un relais de croissance plus fiable.
Une série d’acquisitions pour soutenir le développement.
L’Amérique du Nord ne représente que 15% du chiffre d’affaires du consortium. Pour inverser la vapeur, EADS envisagerait plusieurs acquisitions aux Etats-Unis. Dans le domaine civil, les Européens fournissent régulièrement les Américains mais dans la défense, la situation est tout autre. Cependant, des initiatives notables remontent déjà à la surface. Outre le rachat de Plant-CML spécialisé dans la sécurité aéroportuaire, Eurocopter a fourni 300 hélicoptères légers à l’US Army.
Cette filière d'EADS vient également de s’allier à Lockheed Martin pour produire un démonstrateur de l’Aerial Scout 72X. Un contrat d’envergure puisque créé pour trouver un remplaçant aux hélicoptères Kiowa. Un marché estimé entre six et dix milliards de dollars, maintenance comprise. Pour l’instant, le Pentagone n’a pas lancé d’appel d’offres, qui devrait concerner entre 350 et 500 hélicoptères multimissions. Un coup en avance pour placer le projet dont le maître d’œuvre sera EADS North America, le constructeur sera Eurocopter American (usines de Colombus) alors que Lockheed aura la responsabilité de l’avionique.
Cette série d’acquisitions, qui renforcera ces prochains mois la présence du consortium européen aux Etats-Unis, sert clairement des objectifs au delà de la première tranche de renouvellement de la flotte des ravitailleurs de l’Air Force. A terme, ce sont 400 avions ravitailleurs et de missions qui devront être remplacés. Pour cela, EADS pourra se baser sur son expérience acquise au cours du programme A310MRTT vendu au Canada et en Allemagne. Le groupe vise les 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires aux Etats-Unis d’ici 2020. Ceci ne comprendrait pas le contrat KC-X.
Après les hélicoptères, l’A400M devrait jouer un rôle primordial.
De plus, EADS reste toujours exposé à la variation euro-dollars qui pèse sur sa rentabilité. Pour continuer dans le sens de l’équilibrage, EADS a officiellement fait part de son intention de vendre environ 210 A400M aux Etats-Unis. Soit plus que les 180 appareils commandés par la Belgique, la France, l’Allemagne, la Turquie, le Luxembourg, la Grande Bretagne et l’Espagne réunis. Les déclarations faites par Domingo Urena, directeur d’Airbus Military, surviennent au bon moment pour donner un coup de fouet aux Européens qui semblent épuisés par le sauvetage de l’avion de transport tactique.
Ces trente prochaines années, la filiale espère écouler 500 A400M dans des pays qui ne participent pas directement au programme. Pour l’A400M, les Etats-Unis sera aussi un pays clé. M. Urena n’a pas encore souhaité s’exprimer sur le fait de savoir si l’avion de transport européen se fera à l’aide d’un partenaire américain ou non. En tout cas, il y a bon espoir à avoir même si des programmes comme le Boeing C-17 font rêver. Alors qu'il était en grande difficulté voici quelques années, il a connu à renouveau en engrangeant plusieurs commandes, peut-être suite aux déboire de l'avion européen. Il pourrait d'ailleurs se garnir prochainement d'une commande indienne d’une dizaine d’avions. Cependant, les capacités du C-130 de Lockheed Martin par exemple, ne font pas le poids face à l’A400M.
Quel avenir pour l’A330MRTT aux Etats-Unis ?
Pour revenir sur l’A330MRTT, il a toujours joui d’une bonne réputation auprès du Pentagone. Notamment grâce à sa taille qui lui confère une autonomie en vol plus importante que le Boeing. Un fait important précisément dans la zone Pacifique-Asie, primordiale pour les Etats-Unis à cause des nombreux conflits armés qui y couvent.
De plus, l’avion peut se vanter d’une soixantaine de commandes réparties entre l’Australie, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et la Grande Bretagne. Ceci alors que l’appareil de Boeing n’existe rappelons le que sur le papier. Enfin, le KC-45 présente beaucoup d’atouts technologiques tels que deux systèmes d’alimentation des avions en vol : la perche et les nacelles latérales. Mais sa supériorité technologique pourrait jouer en sa défaveur. En effet, suivant le nouvel appel d’offres, une différence de 1% dans le prix est éliminatoire. Une des raisons qui laisse les Européens croire à un avantage laissé à Boeing.
Même son de cloche au Congrès : Le sénateur républicain de l'Alabama, Jeff Session a déclaré : «Je suis enchanté qu’EADS confirme sa participation à l’appel d’offres. Je pense que leur avion est meilleur ». Un de ses collègues a estimé que «la présence d’un groupe s’opposant à Boeing sert les intérêts de nos soldats et des contribuables.» Cependant, le lobbying de Boeing reste intense. Parmi les détracteurs de l’avionneur européen, le sénateur de l’Etat de Washington, Patty Murray, qui évoque «les subventions publiques illégales obtenues par EADS pendant des années». A noter que l’OMC, où se joue actuellement ce débat, a officiellement annoncé ne pas intervenir dans cet appel d’offres.
Boeing ne rendra pas les armes.
Pour continuer d’affirmer sa domination, Boeing ne cesse de faire feu de tout bois. Taxé de vouloir abaisser ses exigences en terme de sécurité, le Pentagone a dû officiellement déclarer ne pas favoriser la candidature européenne. Une idée « absurde » selon son responsable de la communication Geoff Morell. Des sénateurs américains favorables à Boeing accusent très officiellement le Pentagone de faire des « concessions » pour favoriser la concurrence.
Outre Washington, Boeing s’est lancé dans une bataille sans rival sur Internet. Dans un domaine que l’entreprise connait bien, on peut découvrir principalement deux sites. « Unitedtankers » et « the real american tanker » servant clairement la propagande américaine. Avec un message clair : « choisir Boeing, c’est créer 50 000 emplois en Amérique et la supériorité technique du B767 », le patriotisme et la préférence nationale doivent servir Boeing pour s’imposer. Initiative originale, le civil pourra participer à l’appel d’offres en signant une pétition destinée à l’administration Obama. On peut aussi envoyer une lettre à son représentant politique local pour lui demander de soutenir la participation de l’avionneur. Inutile de préciser que les habitants du Kansas ou de l’Alabama sont particulièrement visés.
Sur cette bataille médiatique, on notera l’émergence récente d’un site concurrent, celui de l’A330MRTT. Enfin sorti de son mutisme vis-à-vis des nouvelles technologies de l’information, le site présente l’énorme avantage d’exister, de proposer des medias originaux mais ne rivalise pas encore par sa virulence avec celui de Boeing.
Pour contrebalancer un peu le duel entre Airbus et Boeing, on a bien cru un moment voir arriver une offre russe. Selon la rumeur, la société publique United Aviation Corporation (UAC) aurait pu répondre elle aussi à l’appel d’offres. Finalement Moscou avait mis rapidement un terme à cette rumeur mais laissa tout de même la porte ouverte à Washigton affirmant étudier une telle demande si elle était émise par les Etats-Unis.
La situation française de l’avion ravitailleur.
En France, le renouvellement des avions ravitailleur de l’armée de l’air n’a toujours pas été lancé. Cet appareil qui sera certainement l’A330MRTT est incontournable pour la viabilité de la composante aérienne de la dissuasion et des opérations conventionnelles. Alors que la France n’a toujours pas fait le choix d’acheter l’appareil, le constat fait tache d’huile vis-à-vis des Américains.
Si la commande intervenait maintenant, la DGA s’attendrait à une mise en service de l’appareil fin 2014 début 2015. Si on ne parle pas encore de son financement, un appel d’offres serait le bienvenu aux vues de la récente montée au créneau face au protectionnisme américain. Un achat de gré-à-gré parait donc improbable. De plus, les capacités industrielles européennes manquent. En Espagne, l’usine de transformation des A330-200 est déjà surchargée. On envisagerait alors une unité de production en France mais là encore, la rentabilité serait moindre qu’en Espagne.
Michael Colaone.
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