L’épopée du ravitailleur en vol KC-X dure depuis une dizaine d’année et c’est un nouvel épisode à suspens qui nous est diffusé. Nous nous étions habitués à la guerre entre Boeing et EADS mais voilà qu’un troisième acteur s’est invité à la fête.
Coup de pub ou tentative sérieuse de remporter le plus gros contrat jamais attribué par le Pentagone en dehors du F-35 ? La proposition fait surtout sourire mais a-t-elle une chance d’aboutir ?
Alors que les deux géants de l’aéronautique Boeing et EADS se sont lancés dans des escarmouches auprès de l’OMC au sujet des aides illégales dont ils auraient bénéficié, un troisième acteur fait donc son apparition dans la course du KC-X.
Relancé il y cinq mois, la nouvelle échéance proposée par le Pentagone après le désistement de Northrop Grumman est donc atteinte. Le 9 juillet dernier, entre les fêtes nationales américaine et française, les deux avionneurs avaient déposé leurs dernières offres. EADS avait pris les devants en déposant son dossier de 8 819 pages un jour avant cette échéance. Mais la surprise vient de la proposition faite par US Aerospace et Antonov.
Profiter des progrès faits par EADS dans les consciences américaines.
Après des années d’un combat très médiatique entre Boeing et EADS, un nouvel acteur discret et inattendu propose désormais une offre pour le moins non conventionnelle pour le marché américain. Depuis tout ce temps, Northrop Grumman/EADS et désormais EADS tout seul essuie les plâtres en affrontant Boeing et ses soutiens politiques se révoltant face à une offre qui ne serait pas purement américaine pour ces 179 ravitailleurs en vol.
La critique principale faite à EADS porte sur le fait que la cellule basée sur l’A330 ne sera pas conçue aux Etats-Unis. Pour les partisans de la solution proposée par Boeing, ce sont des centaines d’emplois et des dizaines de milliers de dollars qui seront dépensés en faveur d’emplois européens. Que peut faire alors U.S. Aerospace, Inc et son allié ukrainien Antonov face à de telles critiques ?
Trois modèles sont désormais proposés sur le marché américain. Les AN-124-KC, AN-122-KC (Une variante de l’AN-124-100) et l’AN-112-KC. C’est ce dernier qui doit répondre aux attentes de l’appel d’offres qui nous intéresse aujourd’hui. Mais avec cette nouvelle gamme, celle qui se présente comme « un fournisseur émergeant de rang mondial » de composants et de modules aéronautiques pour des équipementiers civils et militaires américains US Aerospace et Antonov pourraient aussi briguer d’autres contrats militaires aux Etats-Unis.
En attendant, la proposition basée sur l’AN-112-KC a été spécifiquement remaniée pour répondre aux contraintes imposées par le KC-X. Selon U.S. Aerospace, les cellules seront construites en Ukraine par Antonov mais l’assemblage final se fera dans de nouvelles usines aux Etats-Unis. Un schéma hérité des critiques faites à EADS. Wendy Snyder déclarait pour le Pentagone auprès du Moscow Times que « le département de la défense doit œuvrer pour un appel d’offres juste, ouvert et transparent. Nous pensons aussi que toute entreprise désireuse et capable de participer doit le faire. »
Mais déjà en mars 2010 nous avions pu croire à l’arrivée d’un concurrent russe. L’avocat de San Francisco John Kirkland avait fait courir le bruit, vite réfuté par les principaux intéressés que United Aircraft Corporation (UAC) pourrait concourir pour le KC-X. Ceci grâce à un partenaire américain non spécifié. De là à savoir si US Aerospace était déjà concerné, l’histoire ne le dit pas.
Proposition commerciale fondée ou simple coup médiatique ?
La dispute entre Boeing et EADS atteint son paroxysme depuis que l’Organisation Mondiale du Commerce a rendu sa décision qualifiant d’illégales certaines aides allouées au consortium européen. Ces aides consenties notamment par la France et l’Allemagne concerneraient justement l’A330 dont est dérivé l’A330MRTT. Quoi de plus beau pour en faire les choux gras de Boeing alors que l’OMC a évidement reporté la publication d’un rapport traitant des aides allouées à Boeing par les Etats-Unis. La plainte déposée par l’Union Européenne a été jugée trop complexe par le président de l’OMC et repoussée à une date ultérieure. «Je suis extrêmement frustré. Nous nous trouvons dans une situation de plus en plus injuste. [...] Nous n'aurons une vision équilibrée que lorsque les deux rapports seront rendus», a estimé Louis Gallois.
Pendant que les deux géants se querellent, l’alliance américano-ukrainienne prenait silencieusement forme. Ceci avec une motivation principale, sortir les deux prétendants grâce à une offre beaucoup moins chère basée sur les années d’expérience d’Antonov. De plus, le temps devient peu à peu un élément central dans la prise de décision. L’US Air Force souhaite renouveler sa flotte de KC-135 qui datait déjà de plus de quarante ans au début des débats il y sept ans. Ces appareils constituent les quatre cinquièmes de la flotte de ravitailleurs américaine. Ce besoin devient donc très urgent puisque personne ne peut être totalement certain de combien de temps ils pourront encore voler en toute sécurité.
Conscient de cette opportunité, l’alliance entre US Aerospace et Antonov dit être en mesure de fournir un appareil qui « nous le croyons sera plus capable pour un prix unitaire bien moindre que les autres offres proposées. » Cependant, d’un point de vue technique, nous restons dubitatif face au KC-767 NewGen et bien-sûr face à l’A330MRTT. Surtout qu’il n’est pas inutile de préciser que Boeing a profité du temps demandé à l’époque par EADS après le désistement de Northrop Grumman pour améliorer son offre technique.
D’une part, le groupe industriel italien Finmeccanica a annoncé ce lundi 7 juin un double partenariat avec Boeing, pour le concours de l'appel d'offres du remplacement de la flotte des avions ravitailleurs (tanker) en vol de l'U.S. Air Force. Une nouvelle qui ne ravira pas forcément les supporter d’une Europe moins atlantiste. Et d’autre part, le 9 juillet dernier, c’est une version très remaniée du B767 qui a été proposée. Elle reprend d’ailleurs plusieurs nouveautés développées sur le B787 (commandes électriques de vol, cockpit numérique gracieusement fourni par Finmeccanica.) ainsi que des dispositifs militaires sophistiqués (détection des menaces, protection renforcée des réservoirs et surtout une nouvelle perche de ravitaillement « fly-by-wire » qui reste en test). Boeing qui tente de s’appuyer sur deux de ses clients, le Japon et l’Italie.
Une surprise pour tout le monde.
Le temps est aussi le principal ennemi de l’alliance entre US Aerospace et Antonov. Alors que cela fait dix ans que EADS et Boeing peaufinent leurs offres, l’US Air Force a communiqué à US Aerospace les contraintes exactes de l’appel d’offres seulement 6 heures la fin de l’échéance. Ceci explique par exemple que la brochure commerciale soit aussi peu soignée.
L’entreprise californienne avait déjà demandé une prolongation de 60 jours. Une situation difficilement justifiable auprès du Pentagone mais dans tous les cas, US Aerospace et son allié ukrainien devraient obtenir une rallonge de 30 jours. En effet, c’est le tarif obligatoire pour tout recours déposé auprès de l’instance émettrice de l’appel d’offres. Reste à savoir quel jeu jouera l’US Air Force.
De ce fait, on se demande si la date du 12 novembre sera maintenue ou une nouvelle fois repoussée. L'Air Force doit désigner le vainqueur à cette date au plus tard pour ce contrat évalué à 35 milliards de dollars qui, en bout de course, pourrait plus que doubler.
L’offre présentée par la « petite » US Aerospace en aura surpris plus d’un y compris auprès de l’US Air Force : « Tout le monde était réservé sur ce sujet. Ils n’avaient pas eu le temps d’y penser, déclare Chuck Arnold. D’ailleurs, ce côté improvisé en amuse plus d'un : Richard Aboulafia (Teal Group) déclarait d’ailleurs qu’une telle proposition « allée au-delà de toute cohérence. Que c’est une perte de temps absolue. »
Reste que du côté d’US Aerospace et d’Antonov, une telle participation aura dans tous les cas une retombée favorable. Même dans le cas d’un coup médiatique, la société américaine s’impose en temps qu’acteur émergeant et surtout agressif. Pour Antonov, c’est l’occasion de rappeler au monde sa capacité technique à faire de très bons appareils. Cependant, Antonov n'est pas vraiment coutumier du marché des ravitailleurs en vol. La Russie lui a toujours préféré un autre avionneur habitué aux couloirs moscovites, Iliouchine.
Pour le marché, cela ne fera qu’apporter une solution de plus au milieu de l’affrontement permanent entre les deux leaders mondiaux que sont EADS et Boeing. « Nous sommes fiers de participer au plus grand appel d’offres militaire de l’histoire », a expliqué l’administrateur d’US Aerospace, Michael Goldberg. L’appareil sera « de gabarit moyen et conçus en matériaux composites » il devrait sortir autour de 150 millions de dollars l’unité. Soit une somme totale de 29,55 milliards de dollars.
Ce montant reste bien inférieur aux propositions fait par Boeing et EADS. Selon le Financial Times, Airbus Military aurait largement baissé le prix unitaire de ses ravitailleurs par rapport à son offre de 2008. Le journal évoque une réduction d’au moins 10%. Mais attention, Airbus ne bradera pas ses ravitailleurs. Louis Gallois a déclaré préférer perdre le contrat plutôt que de ne pas gagner d'argent. «Boeing a déclaré avoir baissé ses prix. Je ne sais pas, je n'ai pas accès aux prix pratiqués par Boeing et je n'ai pas de commentaire à faire là dessus. Nous avons fixé un prix avec un objectif de rentabilité. Je pense que nous sommes compétitifs», a ajouté Louis Gallois. En cas d’égalité technique, si le différentiel de prix entre les deux offres est supérieur à 1%, l’offre la moins cher l’emportera. Autant dire qu’Antonov et Us Aerospace seront alors très bien placés.
Mais la capacité technique de l’avion pour répondre à toutes les exigences de l’US Air Force reste à démontrer. Au-delà de la capacité de l’appareil en lui-même, c’est aussi la qualité des industriels qui est visée. Outre leurs capacités techniques, on pense aussi aux autorisations nécessaires et au savoir-faire pour travailler sur des systèmes sensibles. De plus, la réputation d’Antonov auprès de la SEC reste un gros point d’interrogation. Déjà certains annoncent qu’une telle sélection serait «inacceptable» pour le contrat KC-X.
Enfin, voila qui devrait détourner un peu l’intention de tous les anti-EADS aux Etats-Unis. Les gouverneurs Mark Parkinson du Kansas, Jodi Rell du Connecticut, Pat Quinn de l’Illinois, John Baldacci du Maine, Jay Nixon du Missouri, Ted Kulongoski de l’Oregon, Gary Herbert de l’Utah, et Chris Gregoire de l’état de Washington. Tous sont récemment sortis du bois pour que le KC-X aille enfin de l’avant avec une solution purement américaine. Pour eux, il faut agir vite et surtout dans le sens de Boeing. Ils font évidement tous partis de la fameuse « US Tanker 2010 Coalition. »
En attendant, la bataille des chiffres continuent. Boeing assure que sa proposition permettra de créer 50.000 emplois aux Etats-Unis, contre les 48.000 promis par Airbus, qui s'appuie sur plus de 200 fournisseurs et partenaires américains. Au final, on ne sait plus bien si le contrat revêt un intérêt que ce soit pour l’US Air Force ou pour le peuple américain. La flotte des ravitailleurs de l’ère Ensenhower arriveront tôt ou tard à bout de souffle. Reste à savoir si à ce moment là, l’US Air Force sera capable de les remplacer par un nouvel avion et surtout, par le meilleur appareil du marché. Réponse prévue à la mi-novembre.