Comme nous le disions précédemment, la Russie a frappé un grand coup ces dernières semaines sur le marché indien. Centrales nucléaires, système de navigation par satellites, coopération spatiale, chasseurs de combats, etc. Mais comme nous le savons également, la France tente de regagner du terrain sur ses concurrents russes. Paris souhaite en effet reconquérir sa troisième place sur le podium des exportateurs de matériel de défense perdue en 2006 au profit de Moscou. Ceci la place donc derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. En Inde, se joue actuellement un marché évalué à 50 milliards de dollars. L’occasion pour la France de revenir au contact sur un terrain qui appartient pourtant traditionnellement aux Russes. Mais compte tenu des récentes révélations de coopération indo-russes, le chemin sera encore long.
Fin 2009, Moscou présentait de bons résultats sur les marchés de l’armement avec une hausse de ses exportations pour la dixième année consécutive à 8,5 milliards de dollars. Selon le Service de coopération militaire et technique russe, le montant cumulé des commandes réalisées pour les années à venir s’élèverait au-delà des 40 milliards de dollars. Il sera donc difficile pour Paris de reconquérir sa troisième place perdue en 2006. Le président de la République, M Nicolas Sarkozy devrait peut-être se rendre en Inde d’ici la fin de cette année, mais encore faudra-t-il en avoir besoin. Si New Delhi prévoit de débourser ces 50 milliards de dollars dans les dix ans à venir pour sa défense, les Français n’ont plus gagné de bataille depuis la vente de six sous-marins de classe Scorpène et de 36 SM39 en 2005. Mais les retards pris par les Indiens dans la construction de ces submersibles (qui se fait sous supervision française) ne sont pas la faute des équipes tricolores. Ces derniers résultats ne peuvent malheureusement qu’influencer les autorités de New Delhi.
Pourtant, Paris et ses industriels sont sur tous les fronts. MBDA concourt pour le contrat SRSAM (Short Range Surface to Air Missile) dont les résultats devraient tomber dans les prochains mois. Le missilier est également sur le coup pour la remise à niveau des 51 Mirage 2000 de l’armée de l’air indienne. Un contrat de 1,5 milliard d’euros dont nous vous parlions récemment dont le but est de prolonger d’une vingtaine d’années la vie de ces appareils. Une évolution vers un standard le plus récent avec un armement lui aussi plus jeune pourrait plaire à New Delhi si les Français arrivaient à en négocier le prix. Pour le moment, l’offre française dépasserait du tiers le prix que se seraient fixé les Indiens.
Tout ceci alors que la modernisation de 100 Jaguar est en cours de discussions entre MBDA, l’Israélien Rafael et les autorités locales. Ainsi, le missile européen ASSRAM pourrait équiper les chasseurs franco-britaniques dans une configuration originale (overwing) si ce dernier ne laisse pas la place au Python israélien. L’État hébreu peut se prévaloir d’une forte influence sur le personnel de New Delhi. Ceci alors que les entreprises de ce pays ne concourent pas pour tous les appels d’offres que nous décrivons. Ainsi, ce contrat pourrait fort bien échapper des mains européennes. Aujourd’hui, il est plus compliqué d’équiper le Rafale avec des armes et équipements non-français.
Ensuite, le Rafale concourt toujours pour le contrat MMRCA (Medium Multi Role Combat Aircraft) que nous connaissons bien sur ce site. Il est en compétition avec les F-16IN Block 70 Super-Viper, de Lockheed Martin ; les F/A-18E/F Super Hornet Block 2, de Boeing ; l’Eurofighter EF-2000 Tranche 3 ; le JAS-39 IN Gripen de Saab ; et les Mig 35 russes. Il n’est toujours pas donné favori contrairement à l’Eurofighter qui pourrait avoir la préférence des Indiens. Reste que le Gripen pourrait aussi avoir une carte à jouer notamment grâce à une nouvelle version navalisée, le Sea Gripen.
Eurocopter concourt aussi pour différents appels d’offres pour renouveler la quasi-totalité de la flotte d’hélicoptères indiens. AS 550 C3 Fennec, EC 725 Cougar et AS565 Panther sont en lice pour décrocher des contrats pour les différents corps d’armée. Au total, ce sont plus de 400 machines qui seront achetées par l’Inde. À noter qu’Eurocopter ne souhaite pas engager son hélicoptère de combat Tigre pour appel d’offres pour 22 exemplaires. Une situation étonnante et qui semble t-il n’appelle pas de commentaires officiels.
Enfin, Airbus Military subit une nouvelle fois le tord de règles du jeu non respectées en Inde pour vendre son A330MRTT. Si l’on rajoute à cette affaire celle du KC-X, on pourrait commencer à croire à une malédiction pour la vente de cet avion. Alors que l’appareil avait brillamment réussi les tests d’évaluation en 2009, l’avion devait être commandé à six exemplaires. Mais le ministère des finances indien en a décidé différemment en jugeant l’appareil trop cher. Ainsi, l’appel d’offres sera relancé prochainement. Le ravitailleur européen sera de nouveau en compétition face au russe Iliouchine Il-78MKI comme ce fut le cas au début. Mais la réelle nouveauté viendra de chez Boeing, invité à se joindre aux débats. L’avionneur américain devrait répondre avec son fameux KC-767 voir même avec son futur KC-777 encore en développement. Boeing n’avait pas été convié à l’appel d’offres précédent.
Au final, l’Inde pourrait choisir une large diversification de ses fournisseurs. Son fidèle partenaire russe n'étant dans l'immédiat pas en mesure de lui fournir toutes les technologies de pointe nécessaires à ses ambitions. Ainsi, même Moscou commence à se fournir à l'étranger en matériel moderne et ce, particulièrement en France. L'affaire de l'achat du batiment de type Mistral vient appuyer cet état de faits. Pour maintenir un système de contre-mesures efficasse entre la Russie et l'Inde face à la Chine, les deux pays sont bien obligés de s'ouvrir vers l'étranger. La France ayant dans son catalogue des produits à forte valeur ajoutée pourrait alors tirer un peu plus son épingle du jeux en jouant sur les deux tableaux.
Ainsi, le contrat des Mirage 2000 voir des Jaguar qui aurait pu être estimé suffisant pour les équipes françaises en appelera peut-être d'autres. Au travers de ces différents appels d’offres, on pourra remarquer le retour en force des États-Unis notamment pour la remise en cause du contrat décroché par l’A330MRTT. Cependant, l'administration Obama essuit des revers politiques importants dans le pays. Longtemps considéré comme un pion dans la lutte américaine face à la Chine, le pays se rebiffe.Washington paye le prix pour avoir maltraiter ses "alliés" dans la région.
La situation reste cependant tendue pour la France et plus largement pour l’Europe. Des forces qui espèrent bien vendre également son futur A400M. EADS estime effectivement que l’avion ne sera rentable que s’il décroche une grosse quantité de contrats à l’exportation. Mais côté indien, la situation risque fort d’être bouchée. Outre l’avion en développement avec les Russes, les Américains négocient actuellement la vente de dix C17 et peuvent d’ores et déjà se vanter d’avoir écoulé certains de leurs C-130J.
Michael Colaone.