D’abord annoncé comme la révolution du premier drone européen, le Talarion est plus que jamais sous la menace de l’abandon. Autrement nommé Advanced UAV (A-UAV), le Talarion est un drone de grande envergure (28 mètres d’envergure pour 7 tonnes.) biréacteur sensé rentrer en service dans les forces françaises, espagnoles et allemandes d’ici 2015. Au-delà du besoin opérationnel des armées ou des services de sécurité civile, le Talarion représente l’avenir des programmes de drones autonomes en Europe. Si le vieux continent a raté le train pour faire la course dans le peloton de tête mondial, EADS et d’autres industriels comme Dassault Aviation doivent aujourd’hui clairement identifier l’avenir de la composante drone pour tenter de rattraper leur retard sur les Américains ou les Israéliens.
Développé pour devenir le « superavion sans pilote » européen, le Talarion d’EADS Defence & Security était annoncé comme le sauveur des drones européens. Très en retard sur ses concurrents américains et israéliens, le consortium tâtonne dans les drones. Et ce ne sont pas les problèmes rencontrés lors de l’adaptation des drones Harfang israéliens pour les besoins français qui nous diront le contraire. Les Européens peinent à rassembler les savoir-faire et les fonds nécessaires à la bonne tenue de vrais programmes dans ce domaine.
Un "superavion sans pilote" dont on a besoin.
Le programme Talarion est donc de ceux-là. Si les études chez EADS se sont multipliées, le consortium annonce clairement la mort du programme si les États clients ne s’engageaient pas rapidement à financer la mise en production de l’engin. Mais plusieurs problèmes se posent alors.
Si les besoins pour ce type de matériels ne sont plus à démontrer, les États sont réticents à s’engager dans les programmes actuels. Dans le cas du Talarion, la France, l’Espagne et particulièrement l’Allemagne rechignent à faire confiance à l’industriel. Il faut rappeler que depuis plusieurs mois les relations se sont dégradées entre EADS et ses clients. Une situation qui a toujours était complexe mais qui depuis les péripéties de l’A400M ne se sont que compliquées.
De plus, EADS n’a pas encore démontré de sa capacité à mener des programmes de drones à bien. Lors de la francisation des drones israéliens Harfang confiée à l’industriel, le calendrier de livraison avait rapidement pris cinq ans de retard. Du coup, les Allemands paraissent les plus dubitatifs. Un problème quand on se rappelle que c’est l’Agence de l’armement allemande (BWB,Bundesamt für Wehrtechnik und Beschaffung) qui chapeaute le projet Talarion. Après avoir acquis des GlobalHawk américains, Berlin semble plus encline à continuer des achats sur étagère de drones Predator plutôt que de se lancer dans un programme hasardeux et coûteux. Ceci au péril de l’indépendance technologique européenne. L’acquisition de drones francisais Harfang (SIDM) seraient même mieux envisagée par la chancellerie qui observe la bonne tenue et l'interopérabilité du matériel engagé en Afghanistan. Des solutions moins coûteuses or, on sait que les comptables sont rois de l’autre côté du Rhin. Ceci d'autant plus que des drones Heron 1 sont déjà utilisés par les Allemands en Afghanistan.
EADS présente un programme pour la livraison de 45 Talarion (18 pour la France, 18 pour l’Allemagne et 9 pour l’Espagne) pour la somme de 2,9 milliards d’euros. "Nous sommes absolument déterminés à réussir le programme 'Advanced UAV' (Unmanned aerial vehicle)", avait déclaré Bernhard Gerwert, directeur général de Military Air Systems, une division de la branche défense et sécurité d'EADS qui pensait déjà que cette offre ne pourrait trouver une issue heureuse qu’en 2010. Une offre engageante qui ne comprend pas la livraison de la totalité des systèmes. 1,5 milliard d’euros seront destinés au développement tandis que les 1,4 milliards restants serviront à la production de 15 systèmes Talarion. Rappelons qu’un « système » comprend les installations au sol et une équipe de trois drones.
La concurrence intra-européenne en aura t'elle raison ?
Une autre raison qui fait que le Talarion pourrait ne pas prendre définitivement le chemin des airs est la vive concurrence qui sévit actuellement sur les marchés de défense européens. Compte tenu de la raréfaction des projets, les industriels se livrent une lutte acharnée. Si les pays sont d’accord pour mutualiser leurs efforts industriels, ils peinent à s’entendre sur des spécificités et des missions communes. Aussi, d’autres projets font surface pour concurrencer le Talarion qui est pourtant considéré comme "le navire amiral de la technologie des drones en Europe, si nous ne voulons pas tomber entre les mains des Américains et Israéliens, nous devons" le faire affirme EADS.
Quitte à mettre encore plus à mal la relation franco-allemande, Dassault, Thales, l’Israélien IAI et l’espagnol Indra ont d’ores et déjà postulé auprès des autorités compétentes pour une offre non sollicitée basée sur le Heron TP. Un nouveau drone d’observation et de désignation avancé MALE qui vient directement concurrencer le projet d’EADS jugé trop cher, arrivant trop tard et surtout trop complexe. « Je ne suis pas très inquiet », avait alors réagi Stefan Zoller, président exécutif de la division Systèmes de défense et de sécurité d'EADS. Il semble vouloir croire qu’à l’image de l’A400M, un des rares projets structurants en matière de défense a encore de l’avenir malgré une situation économique difficile. Le drone concurrent pourrait être opérationnel en 2012 contre 2015/2016 pour le Talarion. Mais son avance technologique et sa totale indépendance devraient jouer en sa faveur. EADS compte bien s’appuyer sur son succès (relatif) à fournir des drones intermédiaires SIDM à la France pour faire patienter ses possibles clients : "une solution intérimaire, qui est le drone le plus avancé élaboré et construit en Europe", selon M. Zoller. Le drone est lui aussi le fruit d’une collaboration avec l’Israélien IAI.
L'indépendance stratégique de l'Europe a-t-elle un prix ?
Le Talarion reste cependant un potentiel bijou technologique. Un concept de plate-forme modulaire propulsée par turboréacteur, équipé à terme d’une suite multirôle de capteurs performants, également de type modulaire, et d’une chaîne de communication satellitaire serait une grande première pour un drone européen. Il se placerait alors directement dans les engins très haut de gamme dans le monde.
Ceci même s’il devient fort probable (dans le cas du maintien du programme) que le Talarion sera livré en plusieurs tranches. Sur le modèle des avions de combat pilotés, le drone pourrait être livré à différents standards étalés dans le temps. Ainsi, le concept du système modulaire global tiendrait compte de l’option d’une version de reconnaissance à basse altitude dont le développement interviendrait ultérieurement. Comme la France, l’Allemagne et l’Espagne ne disposeraient pas des 2,9 milliards d’euros que réclame EADS, les premiers engins pourraient être livrés sans radar (Thales) et sans sa certification de vol complète qui lui permettra ensuite de s’insérer au sein d’un espace aérien civile. Une première tranche d’appareils qui pourraient tout de même mener à bien leurs missions. En reportant ainsi une partie des coûts, EADS pense pouvoir commencer à livrer les premiers appareils en 2015, comme prévu. Une version améliorée suivrait deux ans plus tard.
En attendant, EADS veut un engagement de la part de ses clients pour continuer le développement du Talarion. Le groupe affirme que dans le cas contraire, le programme serait clôturé pendant l’été. Le consortium se dit néanmoins prêt à participer encore au développement de l’A-UAV si les pays trouvaient rapidement un peu d’argent à mettre au pot. En attendant, la France et l'Allemagne regardent comment partager les coûts de leurs drones existants, appelés à durer beaucoup plus longtemps que prévu. L'idée consisterait par exemple à partager la maintenance des moteurs ou à faire des formations en commun. L'Espagne pourrait alors se joindre à cette initiative.
Michael Colaone.
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