Depuis quelques semaines nous publions sur ce blog une série d'articles traitant de l'état de l'industrie européenne en matière de drones (UAV). Force est de constater que peu de moyens sont actuellement mis en œuvre sur le Vieux Continent afin de développer les technologies nécessaires à l'émergence d'une industrie compétitive face aux principaux acteurs mondiaux que sont les Américains et les Israéliens. Ainsi, même si certains industriels européens tentent de prendre des initiatives en développant sur fonds propres des systèmes à l'instar du Mantis de BAE Systems ou du Talarion d'EADS, ceux-ci peinent à trouver des financements étatiques pourtant nécessaire à la poursuite de tels programmes forts coûteux aussi bien financièrement qu'en terme de main d'œuvre. En conséquence, l'Europe se trouve dans une situation d'attentisme, achetant ses drones au gré des besoins parmi les systèmes déjà existants tels que le Predator ou le Heron.
Si les Européens traînent les pieds dans ce domaine, tel n'est pas le cas de l'Iran qui enchaîne depuis quelques années les déclarations quant aux exploits de ses drones.
En effet, les Iraniens s'intéressèrent rapidement aux avions sans pilote, dont ils comprirent vite les avantages. Les premiers systèmes nationaux émergèrent durant la guerre Iran-Irak qui ravagea les deux pays de 1980 à 1988. C'est durant ce conflit qu'apparut le Mohajer, premier drone armé (UCAV) au monde capable d'emporter jusqu'à six roquettes de type RPG-7. Il était destiné à mener des raids aériens sur les troupes de Saddam Hussein. Depuis, ce drone fut décliné en plusieurs versions, la plus récente étant le Mohajer-4, supposé capable de délivrer des armes guidées par laser. Il fut également livré au Hezbollah, qui l'utilisa dans sa lutte contre l'Etat d'Israël. Ainsi, parmi les faits d'arme du système, on retiendra le survol pendant cinq minutes du nord du territoire israélien, mettant à mal la prétendue inviolabilité de l'espace aérien de cet Etat.
Téhéran ne se contenta cependant pas d'améliorer le Mohajer, et ne ménagea pas ses efforts en R&D afin de développer des systèmes de plus en plus performants. Ainsi apparu le drone Ababil, lui aussi décliné en plusieurs versions, et qui pourrait être comparé à notre Spewer national. En effet, ce UAV est à classer dans la catégorie «drone tactique » car doté d'un rayon d'action de l'autre d'une centaine de kilomètres. Il possède néanmoins une vitesse de 300km/h, environ deux fois supérieure à celle des drones de sa catégorie. Equipé de caméras TV et Infrarouge, ses missions seraient principalement la reconnaissance et la surveillance tactique. Ce drone aurait effectué des vols au-dessus de l'Afghanistan et de l'Irak. Un Ababil-3 fut d'ailleurs abattu le 25 février 2009 à une centaine de kilomètres de Bagdad par des chasseurs américains alors qu'il volait au-dessus du territoire irakien depuis plus d'une heure.
Quelques jours avant cet incident, la société iranienne Asr-e Talai déclara avoir conçu un drone MALE doté d'un rayon d'action de 1000km, mettant ainsi l'ensemble du Moyen-Orient, Israël compris, à porter des appareils iraniens.
Plus récemment, l'Iran annonça plusieurs avancées dans le domaine des UAVs. Deux nouvelles usines de productions de drones furent inaugurées en février dernier à l'occasion du 31ème anniversaire de la Révolution islamique. Selon un général iranien, « Les deux, nommés Raad et Nazir, sont capables de mener des missions de surveillance, de détection et même d'assaut avec une grande précision ».
Au même moment, le chef d'Etat-Major de l'armée de l'air iranienne affirma que l'Iran avait testé avec succès le prototype de son premier drone furtif appelé Sofreh Mahi. Ce drone serait lui aussi doté de capacité d'attaque au sol.
Le nombre important d'annonces concernant des avancées technologiques iraniennes est cependant à prendre avec précaution. En effet, on assiste depuis plusieurs années à de véritables joutes verbales entre Téhéran et ses adversaires menés par les Etats-Unis.
Ainsi, en réponse aux menaces d'actions militaires contre ses infrastructures nucléaires, le régime iranien enchaîne les essais de nouveaux armements afin de dissuader quiconque voudrait se lancer dans une aventure militaire. Plusieurs manipulations de l'information furent mises à jour, parmi lesquelles la publication des photos du drone MALE iraniens, étonnamment similaires à celles d'un Heron israélien. Il n'est donc pas aisé de distinguer le vrai du faux quant aux avancées iraniennes dans le domaine des avions sans pilotes.
Celles-ci ne sont néanmoins pas à sous-estimer. La menace représentait par les drones iraniens est prise au sérieux par l'Etat-Major américain, qui craint l'utilisation massive de ceux-ci en cas de conflit ouvert. Téhéran pourrait s'en servir afin d'attaquer les troupes américaines en Irak et Afghanistan, ainsi qu'éventuellement les installations pétrolières des pays du Golfe. Mais ils représenteraient également une menace pour la Vème flotte américaine qui croise au large des côtes iraniennes, des attaques « suicides » pouvant être menées à l'aide de drones. Afin de démontrer la perméabilité du bouclier antiaérien Aegis sensé protégé le groupe aéronaval, une vidéo d'un porte-avion américain fut diffusée en novembre 2006 par l'Iran, en affirmant qu'elle avait été prise par un de ses drones. Bien que des zones d'ombres subsistent quant à cette vidéo et qu'un démenti formel ait été apporté par l'US Navy, il n'est pas impossible qu'elle soit authentique.
Comme nous venons de le voir, pendant que l'Europe tergiverse sur sa future ligne de conduite en matière de drones, l'Iran ne cesse d'innover et d'augmenter ses capacités. Le contexte géostratégique dans lequel se trouve ce pays peut certes expliquer ses investissements massifs dans le secteur de la défense et en particulier celui des systèmes autonomes. Il faut néanmoins ne pas oublier que l'Europe pourrait se retrouver rapidement dans une situation de conflit de haute intensité dans laquelle de tels systèmes se révèleraient être indispensables. En continuantsur cette voie, elle risque de dépendre du bon vouloir de ses Etats fournisseurs, et ainsi de perdre encore un peu plus son indépendance tant au niveau stratégique que diplomatique.