Un ultimatum. Voilà ce que lance le groupe aéronautique et de défense européen EADS à l’encontre de ses « clients » pour la survie de l’A400M. Si cette affaire devient de plus en plus cocasse, ce programme visant à doter l’Europe d’une offre d’avions militaires de transport ne tient plus qu’à un fil et ses supporters risquent fort d’être déçus.
Les relations entre le fournisseur, qu’est EADS via sa filiale Airbus Military, et ses clients menacent de l’arrêt pur et simple du projet. D’un autre côté, les clients ne peuvent même plus parler d’une seule voix et mettent également en péril la survie de ce qui devait être le symbole d’une Europe de la Défense unie et en pleine expansion. EADS a demandé aux pays acquéreurs une rallonge de 5,3Md€ pour le reste du développement de l'appareil et a offert de supporter une hausse "similaire" des risques de production. Petit tour d’horizon avant la réunion qui se fera dans le cadre de l’OTAN les 4 et 5 février prochains à Istanbul, et qui devrait nous en dire plus sur le futur de l’A400M.
Dans cette affaire, tout devient une histoire de point de vue. D’un côté, nous avons EADS qui, aujourd’hui, joue la victime en affirmant que ce programme lui a quasiment été imposé, ainsi que ses conditions de réalisation tout bonnement impossibles à tenir. De l’autre, il y a le gang des optimistes, dirigés par la France, qui rêvent encore d'un programme européen pour le symbole qu'il pouvait être et qui n’a pas de prix. Et enfin, le club des pessimistes avec l’Allemagne en tête commence à regarder sa bourse se vider et ne souhaite pas se jeter corps et âme dans un programme qui tourne au ridicule. Au final, tous auraient aimé voir cet avion s’envoler vers un destin qui aurait pu être radieux, mais qui finalement ne sortira peut-être jamais de cette zone de turbulences dans laquelle il est aujourd’hui engagé.
La position de la France et de ses alliés est plutôt claire sur ce sujet : "En tant que tel, le fait de porter une partie des surcoûts ne me dérange pas, parce que je pense que ce programme est un programme magnifique, il est le symbole de ce qu'on doit faire au niveau européen" déclare Hervé Morin. "Derrière les problématiques industrielles et de l'emploi il y a autre chose: il y a le fait que les Européens puissent construire un avion de transport militaire et qu'ils ne deviennent pas simplement des clients du seul industriel qui resterait, qui est un industriel américain", a-t-il ajouté.
En fait, la France ne semble pas vraiment négocier avec Airbus puisqu’elle fera « tout pour sauver l’A400M ». Reste que le programme commence à coûter cher, la prise en charge des 5Md€ de surcoûts générés par ce programme serait assez irréaliste alors que l’heure était, semble-t-il, à la rationalisation des dépenses au sein des forces armées françaises. On comprend par ailleurs que beaucoup de retombées économiques et sociales auront lieu dans l’Hexagone si le programme devait se poursuivre. De plus, les pertes de qualification des équipages commencent déjà à être visible. La situation est donc urgente.
L’Espagne, où l’avion est assemblé voudrait également que la situation se débloque et plaide pour qu’un accord soit trouvé au plus vite. Pour Carme Chacon, Ministre de la Défense espagnol, Airbus est conscient qu'il n'avait pas rempli ses objectifs et ses promesses et qu'il devait faire preuve de "générosité." Pour elle, "Il est impossible que nous ne soyons pas capables de faire aboutir ce projet avec succès". Du côté turc, en tout cas, on reste optimiste et on accepte déjà de mettre la main au porte-monnaie. A côté de cela, combien de richesses seraient créées par de nouveaux programmes qui ne verront pas le jour par manque de crédits ? Si l'on reste donc un peu perplexe devant l’attitude française, on ne peut que saluer le courage politique nécessaire à de telles déclarations d’optimisme. On voit également une certaine vision d'avenir avec des projets mutualisés entre pays européens.
Autre approche : celle de l’Allemagne, qui commence à fédérer un certain nombre de partisans. Pour le Ministère allemand de la Défense il s’agit maintenant de soutenir le projet mais pas à « n’importe quel prix ». On accuse parfois les Allemands d’être près de leurs sous, mais dans cette situation la question de savoir qui va payer pour les surcouts du programme peut être justifiée. L’attitude des protagonistes est assez surréaliste dans une relation commerciale. Ceci d’autant plus que les clients d’aujourd’hui sont les créanciers d’hier comme de demain. En général, quand un projet accuse au moins trois ans de retard par rapport à l’échéancier de départ, (fixé au moment de la signature du contrat en 2003) le fournisseur rase plutôt les murs. Il en est autrement pour le dossier A400M, et cette attitude semble exaspérer Berlin qui ne fera, semble-t-il pas d’efforts pour soulager Airbus.
Chez EADS, et donc chez Airbus Military, on joue en tout cas à un jeu très dangereux avec les clients. On se veut alarmiste dans les rangs de l’entreprise en annonçant que c’est le futur du groupe qui est en jeu. Après avoir annoncé qu'Airbus prenait la place de premier constructeur mondial d’avions civils, on ne se démonte pas. Selon Tom Enders, « l’A400M met en danger l’avenir d’Airbus ». On lance alors un ultimatum aux pays clients du plus grand projet d’armement européen : « Cela ne peut pas continuer au-delà de janvier. EADS ne peut pas continuer à vivre dans l'incertitude quant à l'avenir de ce programme, qui nous coûte de 100 à 150M€ par mois. » annonce à son tour Louis Gallois.
La menace est claire et engage le groupe dans son ensemble. Alors que le contrat initial fait porter à EADS l’entière responsabilité financière du programme, on n'accepte pas d’en payer le prix : « Nous avons commis des erreurs et nous avons accepté d'en prendre notre part en provisionnant pour 2,4 Md€ de surcoûts, plaide le patron d'EADS. Mais les Etats ont aussi leur part de responsabilité, pour nous avoir imposé certaines conditions comme le choix d'un moteur européen et ils doivent donc en prendre leur part. Par ailleurs, ils ont besoin de cet avion et, même avec une hausse du prix, l'A400M reste la solution la moins coûteuse ou la plus rapide. ».
Il est certain que les armées clientes ont un besoin de plus en plus pressant d’un nouvel avion de transport. Cependant, ce n’est certainement pas en rentrant en guerre contre ses clients que l’on remporte de grandes victoires. Même si l’A400M aurait été la meilleures solution, elle n’est ni la moins coûteuse, ni la plus rapide. Enfin, quand à l’audit réalisé par PwC dont nous parlions dans un précédent article, EADS assure que ses 8Md€ de trésorerie ne suffisent pas à prendre en charge les surcoûts et à développer les futurs développements de l’A350 et de l’A320 (sans reparler des surcoûts de l’A380) et ainsi assurer l’avenir d’Airbus. Les négociations quant au montant des avances remboursables que vont allouer les pays européens à EADS sont toujours en cours pour l'A350. Un bras de fer est-il une bonne manière de demander un service ?
A suivre : La guerre entre EADS et ses clients autour de l’A400M.
Michael Colaone.