La semaine dernière, la flotte du groupe Eutelsat s'est enorgueillie d'un nouveau satellite, W2A. Construit par Thales Alenia Space, il viendra conforter l'opérateur européen à la troisième place du classement mondial.
Malheureusement, ce n'est pas sur une fusée européenne que W2A a gagné l'orbite géostationnaire, mais au sommet d'un lanceur russe Proton-M d'ILS, qui a pu récemment baisser ses prix grâce au cours avantageux du rouble.
Ce n'est pas la première fois qu'un opérateur européen s'adresse à la concurrence pour lancer un satellite, et ce genre de décisions peut se justifier par la volonté d'avoir une certaine redondance dans les moyens de lancement, pour des raisons de planning ou alors peut-être justifiée dans le cas d'opérateurs aux moyens limités qui cherchent à limiter les coûts au maximum.
De toute façon, sur un marché libéralisé, on ne peut pas reprocher à une société privée - qu'elle soit ou non de droit français - de commercer avec une autre société privée.
Mais on conçoit également que les circonstances géopolitiques de notre temps doivent fixer certaines limites à ce libéralisme. Or, ces limites, Eutelsat vient de les franchir.
Fin mars, l'opérateur a confié son satellite W3B au Parti communiste chinois et à son lanceur Longue Marche 3. W3B est construit par Thales Alenia Space. Il est destiné à remplacer W2M, qui est tombé en panne peu après son lancement à bord d'une Ariane 5ECA (V186) en décembre dernier.
La Chine avait déjà essayé de commercialiser ses lanceurs à la fin des années 1990, mais elle avait dû renoncer. A l'époque, les Longue Marche s'étaient révélées extrêmement peu fiable, et la perte d'un satellite du consortium Intelsat avait sonné le glas de leur exploitation commerciale.
Ce n'était cependant qu'une goutte d'eau qui a fait déborder un vase que le gouvernement américain avait déjà bien rempli.
L'administration Clinton voyait en effet d'un très mauvais œil, et à juste titre, que des joyaux technologiques occidentaux se retrouvent entre les mains d'ingénieurs chinois avides de découvrir nos secrets. Les lois ITAR (International Traffic in Arms Regulations) avaient alors permis d'empêcher légalement tout satellite comprenant un ou des composants américains de se retrouver sur un lanceur chinois ou de toute autre nation considérée comme hostile.
Tout fonctionnait bien jusqu'en 2007, quand Thales Alenia Space a décidé de construire l'un de ses satellites Spacebus-4000 (Palapa D1) sans aucun composant américain, de façon à pourvoir le lancer sur Longue Marche.
Comme le propriétaire de Palapa D, l'Indonésie, cherche à intensifier ses relations commerciales avec la Chine, on comprenait qu'un tel choix pouvait avoir un certain intérêt pour Thales.
Mais cette fois-ci la situation est différente. La décision de construire W3B sans composant américain et de le confier à Longue Marche est délibérée, et ne peut être perçue que comme un coup de couteau dans le dos par les Etats-Unis, qui représentent l'un des principaux marchés d'Eutelsat.
Immédiatement après l'annonce de ce contrat, Jean-Yves Le Gall s'est dit « choqué ». Il a déclaré : « cette affaire nous laisse extrêmement perplexes car nous considérons que tout ce qui se passe dans le domaine spatial au niveau mondial doit se faire en respectant les règles édictées par les gouvernements, et notamment par le gouvernement américain, qui a de bonnes raisons de souhaiter qu'il n'y ait pas de transfert de technologie vers la Chine ».
On ne saurait lui donner tort. Le PDG d'Arianespace a également souligné que l'Etat français participe au capital d'Eutelsat à travers la CDC (Caisse des dépôts et consignations).
La sénatrice républicaine de Californie, Dana Rohrabacher, a par ailleurs exprimé son souhait que les Etats-Unis cessent toute activité commerciale avec les entreprises qui contournent les lois ITAR.
Il y a quelques années, Eutelsat s'était déjà fait remarquer en obéissant au Parti communiste chinois qui avait demandé au groupe de bloquer la diffusion d'une chaîne de télévision qu'il avait jugée dérangeante.
Le choix de la Longue Marche pour le satellite W3B s'inscrit donc visiblement dans une politique déterminée de complaisance au régime chinois, où seul l'intérêt commercial d'une population évaluée à 1,4 milliards d'habitants semble compter.