On en a déjà parlé sur ce blog, le Premier Ministre François Fillon s'est récemment vu remettre un rapport donnant des recommendations sur les décisions à prendre concernant l'avenir des lanceurs européens.
Comme on l'avait déjà souligné, l'existence même de ce document est une très bonne nouvelle. Elle est non seulement le signe que l'Europe commence à se préoccuper de la pérennité de son accès autonome à l'Espace, mais elle montre également que la France reste le moteur européen dans ce secteur.
Les rapporteurs ont eu l'intelligence de souligner l'urgence extrême qu'il existait dans la prise de décision concernant un lanceur futur. Etant donné le temps de développement (inertie administrative incluse), il faut impérativement se donner les moyens de lancer un nouveau programme lors du conseil ministériel de l'ESA de 2011.
Toutefois, un certain nombre de conclusions laissent les observateurs pour le moins perplexe. Le « constat n°17 » pointe du doigt les inconvénients de la politique de lancements double. Car si cette dernière fait aujourd'hui le succès d'Arianespace, elle conduit à des contraintes calendaires que les clients apprécient de moins en moins, et qui provoquent de multiples reports des tirs d'Ariane 5 ECA.
Car à chaque vol, il faut trouver deux charges utiles qui sont compatibles en terme de masse, mais aussi en terme d'orbites. Comme l'étage supérieur ESC-A n'est pas réallumable, toutes les charges utiles se retrouveront nécessairement sur la même orbite, et il est ainsi hors de question de lancer une sonde de l'ESA et un satellite géostationnaire sur le même vol, même si les masses correspondent aux capacités du lanceur.
Mais si ce constat va de soi, le rapport remis à François Fillon en déduit une recommendations qu'on peine à comprendre : abandonner la stratégie de lancements doubles !
Comme on l'a dit plus haut, le problème ne vient pas de la stratégie en elle-même. La preuve en est qu'elle permet actuellement à Arianespace de dominer le marché commercial. Là où le bas blesse, c'est au niveau de l'étage supérieur. A l'origine, l'ESC-A n'était qu'une étape intermédiaire entre l'Ariane 5 générique et la version évoluée, qui devait être équipée de l'ESC-B.
Doté d'un moteur à très haute performance appelé Vinci, ce lanceur aurait permis d'envoyer des charges baeucoup plus lourdes en orbite de transfert géostationnaire, et il possédait l'immense avantage d'être réallumable, ce qui aurait autorisé des missions sur des orbites multiples.
Les contraintes liées aux lancements doubles se seraient alors envolées. Mais en décembre 2002, le premier vol de l'ESC-A est un échec cuisant qui plonge le secteur spatial européen dans une profonde crise. On doit notamment à Yannick d'Escatha, l'un des auteurs du rapport, de l'en avoir sorti.
Mais l'un des prix à payer pour le redémarrage fut l'abandon du développement de l'ESC-B. Récemment, il a été timidement relancé dans le cadre de l'évolution à mi-vie d'Ariane 5 (programme Ariane 5 ME), mais la faiblesse des budgets alloués ne permet pas d'avoir des certitudes sur l'aboutissement du projet. En effet, seuls 357M€ ont été débloqués pour les études préliminaires. Plus de un milliard d'euros devront être alloués en 2011 pour vraiment lancer le développement.
Le rapport, quant à lui, se contente de mentionner l'existence de l'ESC-B, et souligne brièvement qu' « il se dégage un large consensus sur la nécessité de retenir » un étage réallumable pour la prochaine génération de lanceurs.
Rappelons que les Russes maîtrisent cette technologie depuis le milieu des années 1960, et qu'ils en profitent largement aujourd'hui avec les étage supérieurs Fregat et Briz-M.