Comme nous le savons, trois adversaires se livrent bataille pour le renouvellement de la flotte de F-5 Tiger suisses. Le Rafale de Dassault Aviation, l’Eurofighter Typhoon d’EADS et le JAS-39 Gripen de Saab sont en lice pour décrocher ce nouveau contrat.
La Suisse, qui possédait à l’origine une flotte de 110 avions de type Northrop F-5 Tiger IIE/F acquis entre 1975 et 1981 a fêté la 250 000ème heure de vol effectuée par son chasseur. Aujourd’hui, seuls 54 appareils sont encore en service au sein des Forces aériennes suisses. À cela, il faut bien évidemment rajouter les 34 F/A-18 qui sont pleinement opérationnels depuis que le dernier exemplaire a été livré en 1999.
Le remplacement des F-5 est quand à lui à l’ordre du jour depuis plusieurs années. À ce stade, nous verrons que la décision d’acquérir un nouvel avion ne se prendra sûrement pas avant 2015. Ceci, si ces acquisitions ne se font pas en plusieurs tranches pour aider à la relance de l’économie suisse et maintenir les capacités de l’armée de l’air.
Un dossier qui prend du retard.
Pour les industriels en course pour la vente de leurs appareils en Suisse, c’est un contretemps fort peu agréable qui se présente à eux. Alors que les essais suivaient le planning des Forces suisses, les remous politiques et économiques dans le pays viennent jouer les troubles-fêtes. En juillet 2008, deux JAS-39 Gripen D (biplaces) avaient ouvert le bal des essais à Emmen. Avait ensuite suivi le Rafale le 13 octobre 2008, puis l’Eurofighter II qui arriva en provenance d’Allemagne sur l’aérodrome d’Emmen le 6 novembre de cette même année.
Seulement, plusieurs dossiers viennent retarder la prise de décision du gouvernement suisse. Le premier étant celui des affaires militaires compensatoires. En effet, pour chaque contrat de Défense passé à l’étranger, le Conseil fédéral suisse assure à sa population que la même somme revient sous forme de commandes compensatoires à l’économie locale. Or, lors du bouclage du budget 2008 d’armasuisse incluant la modernisation des 34 F/A-18 ou bien l’achat de 220 véhicules de transport et de 12 engins d’exploration, le tout pour 917 millions de francs suisses, un scandale a éclaté dans le pays puisque le taux de ces compensations ne se serait élevé qu’à hauteur de 40 à 50%.
Un sacré revers pour les autorités, taxées d’incompétences pour le calcul de ces compensations. Cependant, il n'y a pas de consensus en la matière, et armasuisse a toujours affirmé que l'acquisition des F/A-18 avait généré des commandes pour l'industrie suisse supérieures aux fonds investis pour l'achat des 34 appareils américains. Les États-Unis avaient par exemple repris 35 F-5 pour les besoins de sa fameuse académie Top Gun. Reste que pour le renouvellement de la flotte d’avions de combat, cette affaire sera un pilier central des négociations. Pas question pour le gouvernement en place de répéter la même erreur.
Si le taux de transfert de technologies est devenu un point classique dans les négociations de gros contrats d’armement dans le monde, en Suisse la question se posera évidemment. Lors du contrat précédent pour lequel Boeing et Dassault étaient en compétition, la question se posait déjà. Ainsi, les F/A-18 furent assemblés par laSF Entreprise suisse d'aéronautique et de système SA, à Emmen. Le F/A-18 damait alors le pion au Mirage 2000 français pour la production de 34 appareils. Aujourd’hui, chacun essaie de jouer de sa force de persuasion, à l’exemple de Saab qui espère bien assurer l’avenir de sa production.
Des avions de combat pour relancer l'économie ?
Cette question taraude les autorités suisses, mais crée aussi de plus en plus de débats au sein de sa population. Selon la chef du département fédéral de l'économie, Doris Leuthard, l’acquisition d’une première tranche de nouveaux avions de combat pourrait permettre de générer des commandes compensatoires pour l'industrie suisse, et ainsi favoriser la relance. Si on ne discutera pas d’une affaire proprement suisse, à savoir si la protection du territoire national permet ou non de favoriser l’activité économique, nous reviendrons sur la situation économique du pays.
En effet, l’état actuel des finances ne permettrait pas l’achat de ces appareils dans leur globalité. S’il n’est pas question de renoncer à l'achat de nouveaux avions de combat, force est de constater que les moyens manquent pour les acquérir rapidement. Ainsi, d'aucuns préfèreraient reporter leur achat à une période permettant d'assurer l'ensemble des frais.
Si la volonté politique soutient ce projet, le manque de moyens permet d’envisager des acquisitions successives de plusieurs escadrilles. Initialement, armasuisse prévoyait d’acquérir 33 avions modernes pour remplacer les F-5. Un nombre rapidement réduit à 22 exemplaires en raison du manque de moyens. À ce stade, seul l’avion le moins cher des trois candidats, le Gripen suédois, semblerait tenir dans l'enveloppe fixée à 2,2 milliards pour un "achat sur étagère". Mais cette somme ne suffirait alors pas pour l’entretien et la mise en service des avions. Du coup, c’est l’idée d’acquérir une petite escadrille de 8 à 12 appareils qui a fait son chemin. Une escadrille qui serait ensuite complétée par d’autres acquisitions d’ici cinq à dix ans pour atteindre finalement le volume de 45 à 60 avions de combat modernes. Mais une telle solution mettrait en exergue le déficit opérationnel de l’armée. De plus, des achats de plus petite quantité influeraient sur les négociations avec les constructeurs.
Pour le chef du Département de la Défense, Ueli Maurer, la décision devrait être repoussée à 2015 pour une mise en service prévue à partir de 2020. Le temps pour l’État de trouver un financement adapté aux ambitions suisses. Cependant, cette décision politique et économique, qui paraît judicieuse de la part du ministère de la Défense, n’a pas été retenue par le Conseil fédéral. Il a d’ailleurs décidé de ne pas suspendre la procédure d'évaluation en-cours. Mais l’insuffisance du budget militaire a était reconnu par le Conseil. C’est ainsi que toute décision devra attendre la parution du prochain rapport sur la politique de sécurité (RAPOLSEC) prévu pour le printemps.
Dans le cas où la prise de décision devait attendre six ans, un autre problème se posera. Si pour l’instant, nous parlons du renouvellement de la flotte de F-5 Tiger, les F/A-18 Hornet arriveront eux aussi proches de leur fin de cycle de vie avec une moyenne d’âge de 20 ans. Se pose alors la question de savoir si la Suisse souhaite conserver une capacité de surveiller et de protéger son espace aérien. Le virulent Groupe pour une Suisse sans armée ne manque pas de monter au créneau en tentant d’imposer un moratoire à l'achat de nouveaux avions de combat. Reste qu’en juin 1993, une nette majorité de la population suisse (57,1%) avait voté en faveur de l'achat des 34 F/A-18 Hornet.
Le Gripen bien engagé en Suisse.
Si la procédure d'évaluation menée ces derniers temps devra être entièrement relancée suite aux mouvements décrits plus haut, les trois avionneurs sont en tout cas en train de mettre à jour les données dans le cadre de la procédure en cours. En attendant, Saab se dévoile pour faire de son avion le favori sur cet appel d’offres. Contrairement à ses concurrents, beaucoup d’informations sont devenues publiques au fil du temps. Nous ne rappellerons jamais assez comme la stratégie marketing du constructeur suédois est agréable.
Le JAS-39 aura le cycle de vie de 30 ans le plus économe du plateau. Du fait de sa propulsion monomoteur, les coûts de maintenance ou en consommation de carburant sont également réduits au maximum. De plus, le coût d’achat de celui-ci reste inférieur à ses deux concurrents, ce qui permettra d’acheter davantage d’appareils complètement équipés et de respecter l’enveloppe financière. De plus, le Gripen est un avion fiable dont les réparations se font dans un temps assez réduit. Enfin, l’appareil étant de taille modeste et comparable à celle des F-5, peu de modifications d’infrastructures seraient nécessaires pour la mise en service de l’appareil.
Des caractéristiques qui pourraient bien convenir au pays. Ceci d’autant plus que la Suède est prête à largement coopérer pour sauver la production de son chasseur. Pour réaliser des économies, les deux pays pourraient entrainer ensemble leurs pilotes et partager ainsi des simulateurs de vol. Aussi, la maintenance et le stockage des pièces seraient opérés de manière conjointe. Enfin, l’achat d’armement serait opéré en commun de manière à mieux pouvoir négocier les prix avec les fournisseurs. Mais ce n’est pas tout, la Suède mettrait à disposition une zone d’entraînement plus vaste que la Suisse dans le nord du pays, exempte de contraintes, notamment en ce qui concerne le bruit et les vols de nuit. Au travers de toutes ces opérations, Saab garantit des partenariats industriels et la sauvegarde d’emplois durables. Le tout pour une valeur au moins équivalente aux 2,2 milliards de francs prévus.
Grâce à toutes ces annonces, Saab comprend que le marché suisse dépendra également de l’avis de la population. En faisant un effort de communication en tentant de s’imposer comme la solution la plus économique, celle qui surpasse toutes les exigences d’armasuisse, le Gripen frappe un grand coup dans un pays qui outre la crise subit une fronde de la part des économies anglo-saxonnes sur son système bancaire. Les concurrents du Gripen sont eux beaucoup moins bavards.
Chez Dassault on se félicite des essais effectués et réussis à 95%. Rien de nouveau pour un appareil qui s’est désormais imposé comme une référence en termes de performances. Deux appareils sont engagés pour ces tests. Un premier avec le radar actuel (PESA) et un second avec un RBE2 AA1 (AESA) de présérie qui pourra équiper le Rafale suisse en cas d’achat. La France offre un partenariat complet en termes de formation et de logistique ainsi qu’un accès à l’ensemble de ses zones d’entraînement.
Outre les projets de coopération sur le développement et la conception de l’appareil, Dassault propose aussi de fabriquer en Suisse les missiles MICA (MBDA) commandés par la force aérienne. Le Rafale peut engager la gamme complète de missiles MICA IR & EM. Un projet qui viendrait s’ajouter au centre de maintenance prévu en cas de victoire sur le territoire suisse. Rappelons tout de même que la France et la Suisse entretiennent de bonnes relations commerciales. En 2008, la Suisse importait pour 12Mde de produits français (soit 10% de son volume total). Niveau exportation, la France acheta pour 10,6Md€ de produits à la Suisse.
Côté français, on espère que l’ancienne affaire des Mirage 2000 est passée. En 1992, le choix du groupement de l'armement suisse en faveur du F/A-18 américain pour remplacer 16 Mirage IIIRS avait créé la polémique. Même en Suisse, ce choix avait suscité doutes et contestations pour des motifs autant techniques que politiques et financiers. Des soupçons de corruption avaient alors surgi, mais n’ont jamais pu être confirmés par les autorités locales.
Côté Eurofighter, encore moins de bruit. Chez EADS on ne met en avant que la bonne tenue du radar CAPTOR et le développement du CEASAR (AESA). Comme pour les deux autres avions, le Typhoon évolue en continu, mais peut se passer de postcombustion pour décoller. Les Suisses étant particulièrement attentifs au bruit, c’est un bon élément pour l’avion. EADS précise également que son appareil peut emporter plus de charges que ses adversaires permettant ainsi un large choix d’armements et d’équipements. Mais au sein du groupe, on met semble-t-il surtout l’accent sur les coopérations existantes entre EADS et la Suisse. Des liens qui seraient alors renforcés. Cependant, l’idée de voir voler l’Eurofighter sur toute la zone centre Europe (Allemagne, Italie, Autriche) ne fait rêver qu’EADS.
Les F-5 Tiger arrivent au bout du chemin.
Début mars, deux F-5F de l’armée de l’air sud-coréenne ont percuté le mont Hwangbyeong, à 230 kilomètres de la capitale sud-coréenne. En service depuis les années 1980 dans ce pays, les appareils arrivent en fin de vie un peu partout dans le monde. Cet accident est en fait le septième impliquant ces appareils depuis l’an 2000. Aucune hypothèse n’a été écartée pour expliquer ce nouvel incident, qui a causé la mort de trois pilotes.
Les F-5 resteront donc cloués au sol tant que les circonstances de l’accident du mont Hwangbyeong ne seront pas éclaircies. Une situation délicate pour un pays vivant sous la menace de son voisin du nord. Par ailleurs, la Corée du Sud emploi 170 F16, des F15 Eagle et des Phantom II, eux aussi très anciens. Elle possède en tout 170 F-5 Tiger qui vont être remplacés à partir de 2013 par des FA-50, dérivés du TA-50 Golden Eagle.
Michael Colaone.