C'est la multiplicité des actions lancées contre Airbus depuis maintenant plusieurs mois qui illustre ce triste constat. Le contrat des avions ravitailleurs de l'US Air Force en est l'exemple parfait. Face à une défaite technique annoncée des Américains, le recours au lobbying reste un espoir pas si ténu que ça ! C'est en fait le moyen, judicieux il faut le reconnaître, de faire glisser le débat technique vers un débat politique et légal. Si l'on se penche sur les récents éléments de ce dossier, on réalise à quel point les Etats-Unis sont mieux outillés que l'Europe pour ce genre de guerre.
En remontant le cours des communications de Boeing sur ses tankers, on remarque une première phase qui abordait essentiellement les considérations techniques justifiant la victoire de leur appareil : Supérieur techniquement, mieux adapté aux besoins de l'US Air Force... Aujourd'hui, dans la deuxième phase, nous ne sommes même plus capables de déterminer l'appareil qui va servir de base à leur proposition commerciale ; un 777 ? Un produit commun élaboré avec beaucoup de difficultés d'ailleurs, avec les Italiens ? Un 767 ? Ce que l'on sait maintenant en revanche, si on s'en tient à certains médias américains, c'est qu'Airbus reçoit des aides illégales des Etats européens, EADS commerce avec l'Iran, que ce contrat n'aura des retombées économiques que pour les seuls européens et que l' A330MRTT est inopérable…
Bien des suppositions donc, qui manquent d'une base de réalité mais qui grandissent sans soucis, soutenues par un puissant organe de lobbying. Et, bien entendu, dans un pays protectionniste, nationaliste, subissant de plein fouet une crise économique sévère et en guerre contre le terrorisme ces arguments sont à même de prendre racine sous les arguments du taux de chômage et de la protection de la sécurité nationale. C'est un raccourci grossier mais qui trouve écho dans des blogs tels que ceux-ci : United States Tankers, ou Real American Tankers ; Une vraie campagne de désinformation qui sert d'argument au lobbying opéré auprès des institutions locales et nationales.
Petite démonstration des réussites d'un lobbying qui doit être salué pour son efficacité et déploré car l'Europe n'est pas à même de lui présenter la moindre opposition.
La bataille des normes à l'OMC.
Hier, le gendarme du commerce international, l'OMC, a rendu son verdict sur les " aides financières européennes " concédées à Airbus. Boeing en avait fait son nouveau cheval de bataille contre la florissante compagnie européenne. Battu en termes de vente, de résultat, et même sur l'étendue de sa gamme, l'avionneur américain a lancé la bataille sur le terrain juridique. Pas très élégant pour une compétition fair-play, mais, soit !
Airbus a matière à répliquer, sachant que le Gouvernement américain octroie aussi des facilités, fiscales notamment, à l'avionneur national. Il s'est donc lancé dans la mêlée en même temps que son rival.
Le verdict à l'encontre d'Airbus était attendu. Ce qui l'était moins en revanche, c'est que les deux verdicts soient rendus à des dates si différentes… Le dossier de Boeing ne sera en effet clos que d'ici deux mois, lui laissant un peu plus de temps pour se retourner.
Ce léger avantage est le fruit du patient travail de lobbying. Il est évident que les Etats-Unis bénéficient d'un réseau d'influence puissant auprès des organisations internationales, le fameux soft power. C'est une façon de travailler qui ne mérite pas de jugement positif ou négatif, c'est un fait et le fait de nombreux pays d'ailleurs. Ce qui est plus condamnable, c'est que l'Europe, en tant que personnalité politique, ni même la plupart des pays qui la composent, ne soit capables d'activer ces mêmes réseaux. Une certaine vision de la morale ? La mauvaise réputation de la méthode ? Le déficit culturel en la matière ? Autant de raisons qui condamnent certains pays de l'Europe à subir les actions de leurs rivaux.
Car, si cette décision est importante, elle fait suite à une autre, moins médiatisée, qui marque l'efficacité et la puissance des lobbies américains, sur leur territoire.
La bataille des normes nationales.
Depuis plusieurs mois en effet, les députés et sénateurs américains unissaient leurs efforts autour d'un amendement appelant l'administration à tenir compte de "tout avantage concurrentiel injuste" dans le processus d'acquisition de matériel militaire. Il fait partie du projet de budget du Pentagone pour l'exercice 2011 et a reçu un vote favorable de la Chambre des Représentants. S'il est voté par le Sénat, il condamne définitivement Airbus dans l'appel d'offre des avions ravitailleurs, du fait de la lecture du verdict de l'OMC, et pour des raisons politiques.
Il fait suite à une autre tentative de lobbying qui aurait pu être efficace si l'argument utilisé n'était pas aussi grossier et contestable : le prétendu commerce d'EADS avec l'Iran. La chasse aux entreprises commerçant avec l'Iran est une vague qui est née bien en dehors de la controverse des Tankers. Elle a plus ou moins commencé en octobre dernier avec une lettre de 50 députés et sénateurs américains ayant été envoyée en octobre 2009 au Président Obama, le pressant de renforcer les sanctions contre les sociétés investissant dans le secteur énergétique iranien alors qu'elles traitaient en même temps avec les Etats-Unis. Viennent ensuite plusieurs initiatives politiques et associatives qui aboutissent au vote par le Senate Armed Services Committee d'une proposition d'amendement fin mai 2010 visant à faire adopter une loi qui interdirait aux sociétés étrangères contractant avec l'Iran de contracter avec le Gouvernement américain. Et très étrangement, c'est le 25 mai que Boeing dénonce le supposé commerce d'EADS avec l'Iran. L'énormité de l'annonce a fait couler l'initiative mais la même technique exactement a servi pour l'amendement du 28 mai dernier concernant les sociétés bénéficiant d' " un avantage concurrentiel injuste ".
La superposition des deux évènements, décision de l'OMC et le vote à la Chambre des Représentants, place Airbus en fâcheuse posture ; et pourtant l'avionneur avait déjà gagné une fois la bataille technique en 2008. Et c'est légalement, même si c'est sans " fair-play à l'européenne ", que Boeing gagne un avantage concurrentiel signifiant. Le pouvoir des règles… le déplacement des champs de bataille vers les domaines légaux, économiques, politiques… Un art du commerce que l'Union Européenne et les pays qui la composent devraient apprendre à maîtriser et exploiter s'ils veulent protéger leurs emplois et leurs capacités industrielles.
Cet article vous est proposé en collaboration avec le site euro-loyalty.eu.