Nous vous annoncions que la décision de la Suisse concernant le renouvellement de sa flotte de F-5 Tiger était imminente. Ces derniers jours, la situation a effectivement évolué dans les montagnes helvètes. Pour moderniser une flotte suisse vieillissante, concourent le Rafale de Dassault Aviation, l’Eurofighter Typhoon d’EADS et enfin le Gripen NG fabriqué par Saab.
Une lutte qui a pris une tournure médiatique puisque le choix d’un avion moderne est soumis à l’appréciation populaire. Mais c’est aussi un match politique qui se joue en Suisse sur fond de crise économique. La décision quant au futur avion de chasse moderne qui prendra son envole frappé de la cocarde suisse est reporté à l’automne sachant qu’une nouvelle procédure pourrait être adoptée repoussant ainsi les acquisitions à l’horizon de 2020.
Un match qui se joue à plusieurs niveaux.
Si nous avons l’habitude d’une image de la Suisse pleine de calme, force est de constater que le choix d’un nouvel appareil de combat suscite une lutte intense. Un affrontement qui se joue d’abord auprès de la population locale. Nous vous le disions précédemment, les constructeurs impliqués dans l’appel d’offres rivalisent sur le terrain informationnel pour remporter les suffrages. Le plus agressif d’entre eux étant certainement Saab qui souhaite absolument remplir ses lignes de production après le désistement de l’armée de l’air suédoise. Habitués aux joutes informationnelles, les Suédois affichent leur avion sur différents supports (publicité, expositions, spots télévisés).
Chez Dassault on a adopté une attitude plus feutrée mais combative. Les Français ont clairement identifiés que l’élément déterminant serait celui des contreparties industrielles et économiques qu’ils seront capables d’apporter au peuple suisse. Par contre, l’Eurofighter semble clairement en retrait, peut-être concentré sur d’autres contrats tels que le MMRCA indien.
D’un point de vue populaire, beaucoup de points restent bancales pour se lancer dans un pronostique fiable. Les Suisses restent échaudés à la fois par les critiques liées à la dernière acquisition de F/A-18 américains. Ainsi, contrairement à ce qui était annoncé, les contreparties liées à la fabrication des avions ne furent pas au rendez-vous.
Dans le camp français, il faudra aussi tenir compte de l'affaire des Mirage. Si les avions volent toujours au service de la Suisse, leur acquisition aura aussi soulevée des questions de l'autre côté de la frontière. Pour certains, il s'agit de l'un des principaux scandales politiques suisses du XXème siècle. Elle fut provoquée par un dépassement de budget lors de l'achat des Mirage III par l'armée suisse dans les années 1960. Cette affaire provoquera en 1964 l'institution de la première Commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée fédérale suisse. Ses conclusions provoqueront le retrait du Conseiller fédéral Paul Chaudet en 1966.
Enfin, les groupements populaires ne manquent pas en Suisse. Le plus virulent sur cette question étant surement le GSsA, le mouvement pour une Suisse sans armée. Si l’association s’était organisée pour porter le plus préjudice à cette acquisition pour cette année, c’est une nouvelle initiative que devra prendre cette dernière à l’horizon 2020. Le but étant d’obliger à une votation populaire annonçant un moratoire de dix ans. Autant dire que dans le cas d’une relance de la procédure, la date de 2020 serait alors difficile à tenir.
Des jeux d’influence externes mais aussi internes.
Au-delà de l’initiative menée par le GSsA, un lobbying croisé vient compliquer les choses. Outre les actions menées par les avionneurs qui activent au mieux leurs réseaux pour s’imposer, la lutte a aussi lieu en interne. Ainsi, il faudra composer avec les sensibilités romandes, alémaniques et tessinoises propres à la Suisse. Dans le pays, ce sont plutôt les alémaniques qui pèsent le plus dans les affaires liées à l’armée de l’air tandis que les tessinois font souvent front avec les romands face aux velléités hégémoniques de Zurich. Ainsi, les germanophones compteraient négocier le retour de leur base de Dübendorf dans les rangs des « Air Base » suisses. Berceau de l’aviation militaire suisse, cette base qui tient à cœur aux zurichois majoritaires dans l’armée de l’air est aujourd’hui mise un peu de côté.
Ainsi, le retour en grâce de Dübendorf serait un point chaud des négociations à venir. Un point qui décidera aussi peut-être les alémaniques à pencher vers le Rafale. Ces derniers se complaisent à se souvenir de l’affaire des Mirages et seront surement plus enclins à appuyer la candidature de l’Eurofighter, puisque portée par l’Allemagne. Il ne faut pas oublier cependant que le bruit de l’appareil reste un élément déterminant dans le choix du futur chasseur suisse. Soumis à un vote populaire il y a deux ans, le Gripen est le mieux placé pour répondre aux exigences locales. Seul avion monoréacteur en course, il fait logiquement office de challenger.
Ne perdons pas de vue non plus que les négociations ont lieu à Zurich (ce qui appui l’argument de Dübendorf). Ainsi, la sphère zurichoise de l’UDC, parti politique du ministre de la défense Ueli Maurer, modifie le paysage des négociations. Pour le moment, la réflexion sur le futur d’un avion de combat moderne en Suisse s’est rattachée à l’élaboration du RAPOLSEC. Ce rapport sur l’avenir de la sécurité en Suisse se fait sous l’autorité du conseiller fédéral Ueli Maurer mais, c'est le centre d'études sur la politique de sécurité de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich qui aura mené les auditions préliminaires.
C'est pour cela que nous devons attendre l'automne, soit le temps qu'il faudra pour que la procédure de consultation du RAPOLSEC se termine. Cette procédure dure trois mois mais peut être raccourcie en cas d'urgence. Pour l'instant, il n'en est pas question officiellement puisqu'elle ne figure pas encore à l'agenda de la Chancellerie fédérale. Si l'élaboration du rapport ne concerne pas directement l'avenir de l'avion, il sert vulgairement d'alibi. Un temps mis à profit pour organiser des alliances de circonstances comme ce fut déjà le cas en 2004 pour l'acquisition de nouveaux avions de transports Casa C-295M. Mais aussi pour défricher une décision politique et économique sensible.
Une lueur d'espoir pour le Rafale mais le Gripen reste le challenger.
Reste que des éléments encourageants continuent d’arriver de Suisse. Suivant le positionnement clair de Dassault Aviation, Madame Doris Leuthard, présidente de la Confédération, voit dans ce nouveau contrat une soutient à l’économie suisse en difficulté. Nous en parlions déjà dans le passé, pour elle, l’acquisition de nouveaux avions créera plus de richesses dans le pays que la somme concernée par l’achat de ces derniers. Un raisonnement logique mais qui subit les frondes de l’histoire. Beaucoup de garanties sont alors attendues de la part des avionneurs sur ce dossier.
La validité des offres constructeurs est elle aussi soumise à la pression des reports de la décision suisse. Les principaux enjeux étant finalement le prix, la nuisance sonore, les retombées économiques et industrielles ainsi que la disponibilité de l’appareil. Pour cela, le Gripen s’affiche clairement comme le challenger. En effet, c’est à la fois l’avion le moins cher, le moins bruyant et surtout, des appareils seront immédiatement disponibles depuis la Suède.
De son côté l’Eurofighter, possède lui l’avantage d’être soutenu par Berlin. Cependant, aux vues des récentes altercations en Suisses et Allemands sur des questions politiques et financières, cet argument est bancal. Surtout que l’avion est parfois mal considéré au sein des forces suisses. Pour certains, il s’agit plus d’un appareil de transition en attendant les F-35 américains qu’autre chose.
Ainsi, le concurrent le plus sérieux du Gripen NG est le Rafale français. Appareil le plus sophistiqué des trois, il pâtit surtout de son prix. Sur tous les autres termes, il est clairement compétitif surtout en termes de retombées industrielles. Reste alors à préciser dans quelles mesures les usines de Dassault seront à même de fournir l’armée de l’air suisse. Les lignes tournants actuellement au ralenti, des solutions seront à trouver surtout dans le cas où les contrats émiriens et brésiliens se concrétisaient.
Cependant, comme ce fut le cas avec l’acquisition des F-5 Tiger, les Suisses pourraient choisir un appareil plus bon marché mais aux retombées indirectes moindres. Un appareil moins cher et rassemblant un consensus en Suisse tant sur le point de vue budgétaire que sur celui des nuisances sonores toutes relatives. De plus, on peut difficilement comparer les performances du chasseur suédois avec celles de l’avion français. Ceci alors que l’on parle de plus en plus d’améliorations significatives chez Dassault. Laissons-nous alors aller à parler d’une furtivité accrue (annulation active) et pourquoi pas de lancement de micro-satellites.
Michael Colaone.
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