Pour terminer notre trilogie consacrée à ces conquérants de l’Amérique du Sud, nous allons mettre le cap sur la Colombie et le Chili. Dans ce premier pays, nous verrons que les tensions entre Américains et Russes sont particulièrement vives. Une situation qui pourrait bien continuer à empirer pour les Etats-Unis alors que nous sommes dans une zone où leur influence est forte. Tout comme au Venezuela, Moscou est largement sollicitée par Bogota qui souhaite elle aussi sortir d’une indépendance trop forte envers Washington. Mais si l’appel d’offres pour 36 avions de chasse au Brésil montre une chose, c’est bien que les Américains ne sont pas prêts de baisser les bras.
Le défi de l’émancipation pour la Colombie.
La situation géoéconomique de la Colombie a depuis plusieurs années amenée Bogota à largement coopérer avec Washington. Lutte anti narcotiques, présence militaire et surtout formation et fourniture de matériels de défense, les Américains sont largement présents dans ce pays. Un accord de coopération stratégique est d’ailleurs en vigueur entre les deux nations. Or, quand on considère les relations qu’entretient le voisin vénézuélien avec les Etats-Unis, on peut comprendre qu’une telle dépendance de la Colombie vis-à-vis de Washington puisse poser un problème. Cette situation tendue a alors motivée les Colombiens à se rapprocher de Moscou pour diversifier ses sources d’approvisionnement et contre balancer une solution américaine omniprésente. Tout de même, le choix peut paraitre politiquement étonnant puisque Américains et Russes continuent de s’affronter même en temps de paix.
Côté colombien, il n’y a pas de doutes, on souhaite coopérer avec la Russie. Si la coopération entre les deux pays est ancienne, elle aura naturellement pâtit de la montée en puissance des Etats-Unis alors que l’URSS tombait lui en désuétude. Mais aujourd’hui, la Colombie semble de nouveau prête à développer la coopération militaire avec la Russie aussi bien sur une base bilatérale que dans le cadre des organisations internationales. Pour le ministère des affaires étrangères colombien, la Russie pourra aider Bogota à lutter efficacement contre les menaces terroristes et dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
Pour étendre la présence russe en Colombie, les autorités locales sont prêtes à facilité l’accession au marché pour les entrepreneurs venus de Russie. Ainsi, depuis 2009, les ressortissants russes n’ont plus besoins de visas pour se rendre en Colombie. Premier bénéfice pour les colombiens, une très forte augmentation du nombre de touristes russes. Ensuite, c’est un excellent stimulus pour tous les entrepreneurs parfois réticents à la vue de démarches administratives trop lourdes. "J’aimerais que les Russes se rendent en Colombie et s’éprennent de ce pays", a conclu le chef de la diplomatie colombienne, Jaime Bermudez.
Cependant, même si la Colombie amorce un rapprochement de plus en plus important avec Moscou le président Alvaro Uribe pose des limites aux marchands d’armes. En effet, il met en garde contre la course aux armements que certains observent sur le continent. Il estime qu’un tel comportement serait extrêmement dommageable pour les pays de la région. Cependant, il observe avec inquiétude la montée en puissance du Venezuela qui pourrait bien atteindre les cinq milliards de dollars d’échanges avec Moscou sur des contrats de défense. Mais pour lui, « la Colombie doit faire face à une violence intérieure et ne participera pas à la course aux armements. Nous devons faire face au terrorisme mais une telle compétition serait dommageable pour notre pays ».
D’un autre côté, si le président Uribe ne souhaite pas d’escalade dans la région, force est de constater que les relations entre son pays et le Venezuela ne sont pas faciles. Il aura été plusieurs fois question d’un soutient de Caracas envers les forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Des allégations de soutien au terrorisme qu’Hugo Chavez a toujours rejetées. Par contre, ce dernier voit d’une mauvaise œil l’accession des forces américaines aux bases colombienne. Depuis juillet 2009, les relations diplomatiques sont d’ailleurs gelées puisque de telles manœuvres sont jugées comme un risque potentiel pour les Vénézuéliens.
Au-delà de la Colombie, l’enjeu est important pour les Etats-Unis. Une telle incursion russe dans leur zone d’influence est effectivement un problème pour Washington. Les récentes manœuvres des marines russe et vénézuélienne représentent la bonne marche de Moscou en Amérique Latine. Du coup, les Américains vont jusqu’à mettre en avant un risque de prolifération des armes russes sur le continent. Ils vont aussi tenter de renforcer leur présence dans des pays clés comme l’est la Colombie. A titre d’exemple, Sikorsky Aerospace Services a récemment ouvert un centre d’entrainement destiné aux personnels de S-70 Black Hawk. C’est la base aérienne de Melgar qui accueillera ces installations. Sikorsky Aerospace Services est la branche dédiée au service après-vente de Sikorsky Aircraft Corp., qui est elle-même une filiale d’United Technologies Corp. Le centre de haute technologie a pour principal but de fidéliser un peu mieux ses clients pour son fameux hélicoptère Black Hawk, symbole de l’industrie de défense américaine.
Enfin, côté français on pourra toujours s'apuyer sur les 18 Mirage 5 encore en service dans les forces colombiennes pour éventuellement venir s'opposer aux avancées russes.
Pour finir, un détour par le Chili.
Fin mars se tenait à Santiago du Chili le salon FIDAE 2010. Pour cette occasion, Rosoboronexport avait vu les choses en grand, exposant une des meilleures cartes de visite de l’industrie russe, ses hélicoptères. Mi-17, Ka-32A11BC et Ansat, les machines civiles étaient bien représentaient. Côté militaire, des Ka-28M et Ka-31 étaient aussi présents. Ainsi, Russian Helicopters est le fruit de la consolidation de l’industrie des hélicoptères russe. Au final, les machines de ce fabricant volent dans une centaine de pays dont beaucoup en Amérique du Sud : Cuba, Brésil, Mexique, Colombie, Venezuela, Pérou, Chili et d’autres encore.
Pourtant, l'armée de l'air chilienne ainsi que son aéronavale sont largement fournies en machines américaines et même françaises. La majorité des forces est constituée de 10 F-16AM/BM Fighting Falcon et d'un F-16C/D Fighting Falcon Block 50. Il faut rajouter à cela, 21 F-5E/F Tiger II ou encore six C-130B/H Hercule. Un aperçu auquel il faut rajouter six AS-532C Cougar, quatre Falcon 2000 et bien-sûr un Mirage 50. Autant dire que la diversité des sources d'approvisionnement a fait son chemin au Chili. La porte semble donc ouverte aux Russes.
Au Chili, la situation est donc la même que dans les pays que nous avons pu visiter au cours de cette série d’articles. Une situation qui devient de plus en plus intolérable pour les Américains dont la réaction ne devrait pas tardée à se faire sentir. Dans tous les cas, l’incursion russe dans ce prêt carré américain est une performance remarquable. Dommage que les Européens n’aient pas su en faire de même malgré une situation politique plus favorable que celle de Moscou. En effet, le choix de fournisseurs européens n’a pas la même portée que celui d’un fournisseur russe. De plus, inutile de rajouter que l’offre des industriels européens peut très bien se calquer sur les besoins sud-américains. Ainsi, malgré la présence allemande au Pérou ou le combat que mène les Français au Brésil, force est de constater que la présence européenne sur le continent reste limitée. Pourtant, l’héritage espagnol ou portugais pourrait jouer en notre faveur.
Michael Colaone.
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