Analyse- Ces 12 derniers mois, nous avons pu observer les efforts des constructeurs de jets militaires pour séduire les nations acheteuses du moment que sont l’Inde, le Brésil ou bien les Emirats Arabes Unis.
Rafale F4, Sea Gripen, Eurofighter Navalisé, Super Hornet “discret”, le dernier salon AeroIndia de Bangalore a été l’occasion pour tous les constructeurs d’abattre leurs cartes. Au fil de cette analyse nous allons déchiffrer chacune des nouvelles offres et comprendre pour quel(s) marché(s) elles ont été élaborées.
Le discret à la mode chez Boeing
Comme avec son Silent Eagle, l’avionneur de Seattle a remis au goût du jour son F/A-18 Super Hornet, présentant une maquette grandeur nature au salon de Bangalore, Boeing souhaite rendre son Frelon plus discret. L’ajout de réservoirs conformes emportant 1360kg de kérosène supplémentaire ainsi qu’une soute à armement ventrale réduirait la signature radar sur le secteur frontal de l’appareil. Cette soute pourrait contenir quatre AIM- 120 Amraam ou deux de ces missiles couplés avec 2 bombes de 250 kg ou bien une configuration de 4 GBU-39/B SDB pour les missions de frappes aériennes. Pour ne pas s’éloigner de la philosophie du discret, de nouveaux matériaux absorbants seraient employés, permettant l’emploi de l’appareil pendant les premières heures d’un conflit face à un important réseau de défense sol-air. Les capteurs passifs ne sont pas oubliés, nouveauté pour le Hornet, un capteur de recherche et de poursuite (IRST) a été installé dans un dôme positionné sous le nez de l’appareil. On complète le tableau par une veille à 360 degrés implantée sur le dos de l’appareil par des capteurs optiques et lasers, faisant office d’alerte missile.
Cette option d’Advanced Super Hornet sera évidement proposé à l’Inde dans le cadre de l’appel d’offre MMRCA pour la fourniture de 126 avions. Il devrait être aussi proposé au Brésil qui vient de repousser la compétition FX-2 pour 2012.
Quant au F-15 Silent Eagle, que nous avons présenté lors de précédents articles, il intéresserait grandement la Corée du Sud, déjà utilisatrice du F-15 et probablement quelques pays du golfe notamment l’Arabie Saoudite. Le "camion à bombes" devrait aussi bénéficier du radar AESA APG-82.
Chez Boeing, on a l’air d’avoir trouvé un marché de niche qui consiste à faire du neuf avec du vieux, profitant du retard du JSF et du refus de Washington d’exporter le F/A-22. Une stratégie low-cost alors que l'avioneur pourchasse un destin incertain dans l'aviation militaire. Un destin heureusement éclairé par l'obtention du contrat KC-X pour les ravitailleurs de l'USAF.
Mais c’est le consortium Eurofighter qui a plus ou moins surpris lors de ce salon, en proposant une version navalisée du jet européen, qui assume complètement ses espoirs de séduire la marine Indienne.
Séduire l’aéronavale Indienne en marge du MMRCA
Le concept avait déjà été imaginé pour donner une alternative au F-35B (STVOL) à la Royal Navy, mais l’idée a été balayée depuis par le choix d’équiper les futurs portes aéronefs de catapulte à vapeur et du JSF dans sa version C. La variante navale du Typhoon serait rendu possible notamment grâce au développement de la poussée vectorielle de l’Eurojet EJ200. Ces nouveaux moteurs lui apporteraient la pente d’approche et la vitesse nécessaire pour un appontage. Bien sûr l’ajout d’une crosse d’appontage et le renforcement du train d’atterrissage seront nécessaires, quant au renforcement de la structure en elle-même, elle serait minime. La structure de l'avion est exceptionnellement forte, ayant été conçue dès le départ pour les charges dynamiques élevées, liées aux manœuvres de combat aérien extrême, ces modifications entraîneraient ainsi une augmentation de la masse de l’appareil de l’ordre de 500 kg.
Le consortium espère séduire les officiels indiens en faisant valoir que si l’Eurofighter est sélectionné pour l’appel d’offre MMRCA, une harmonisation de la flotte aéronavale et de l’armée de l’air permettrait une réduction des coûts d’exploitation, les capteurs, les systèmes d’armes seront communs pour les deux variantes permettant une simplification de la formation du personnel. De plus ceci, inciterait New Delhi à remplacer ses Mig-29K par la même occasion, bien que ceux-ci soient encore neufs. Mais attention, les Russes ne se laisseront pas faire malgré un programme PAK-FA pour un avion de cinquième génération qui semble avancer. Reste qu'EADS abat une carte importante qui est celle de la coopération dans cette nouvelle version de l'Eurofighter. En effet, l'Europe n'a plus les moyens de développer un avion de chasse et les Indiens sont friands de tels partenariats.
Mais comme le concept du Sea Gripen, l’Eurofighter navalisé utiliserait un "tremplin" pour quitter les porte-aéronefs, alors que la marine indienne penche pour un 3eme porte-avion équipé de catapultes à vapeur, bien que l’INS Vikramaditya, ainsi que le second bâtiment, INS Vikrant soient en configuration tremplin. Dans ce cas là, ce choix redonnerait un atout aux offres de Dassault et Boeing. Néanmoins le Typhoon dans sa version STOBAR (Short Take Off But Arrested Recovery) pourrait grandement intéresser d’autres nations européennes qui utilisent des Harriers vieillissants, en autre l’Italie et l’Espagne dont leurs armées de l’air sont déjà équipées d’Eurofighter à l'heure où l'on parle de plus en plus de l'annulation de la version STVOL du F-35.
Le consortium européen a une autre carte à jouer, il y a quelques jours une feuille de route a été révélée afin de mettre sur pied une option spéciale « Moyen Orient », avec pour prospects visés le Qatar, les Emirats Arabes Unis, Oman et Bahreïn. Ce dérivé de la tranche 3 de l’Eurofighter serait équipé d’un radar AESA, de réservoirs conformes, du missile Météor de MBDA et autres armements derniers cris (dont un missile antinavire) et rentrerait directement en concurrence avec le Rafale de Dassault qui est actuellement en tractation avec quelques uns de ces clients potentiels et qui serait notamment amené à évoluer lui aussi dans une version ultime si le contrat venait à se concrétiser aux EAU.
Vers un Rafale F4
Les Emirats Arabes Unis ont toujours souhaité acquérir ce qu’il se faisait de mieux, comme les Mirages 2000-9 ou les F-16 Block 60, le vainqueur de la compétition en cours se verra évoluer dans une version des plus « High Tech ». Concernant le Rafale on évoque depuis déjà quelques temps les efforts du motoriste SNECMA pour aboutir à un M-88 à 9 tonnes de poussée. Caractéristique demandée par le pays du golfe, pour évoluer dans un environnement « haut et chaud ».
Mais dernièrement c’est du coté de Thales que le Rafale gagne un sacré atout, l’électronicien vient de terminer aux cotés de Dassault la campagne d’essais de 3 mois du RBE2 à balayage électronique actif (AESA), cette version apporte notamment un gain de 50% de portée par rapport à la version précédente. L’intégration sur la futur tranche F3O-4T des Rafale de la Marine et de l’armée de l’Air peut donc débuter. Le radar a la capacité de produire des images à ouverture synthétique (SAR) de résolution submétrique, et possède une très forte résistance aux brouillages (reporter vous à la vidéo en contre bas pour plus d’explication sur la technologie AESA).
Thales ne compte pas en rester là, une feuille de route prévoit d’améliorer les performances du capteur. Au programme modes GMTI (Ground Moving Target Indicator) et GMTT (GMT Tracking), réclamées par les EAU, ainsi que de meilleurs performances dans l’utilisation des modes en couplets air-air et air-sol. Ces modes permettront de détecter et d’engager avec précision des cibles terrestres mobiles.
En plus du M88-9 et du RBE2-AESA, le Rafale export pourrait bien bénéficier de réservoirs conformes. De mémoire, il y a quelques années, Dassault avait testé cette configuration en vol, il ne serait pas étonnant que l’avionneur la ressorte des cartons.
Souvenons nous aussi il y a quelques mois, Abou Dabi qui avait mal digérer le refus de la DGAC de ne pas accorder de nouveaux créneaux horaires aux compagnies Emirates et Etihad ainsi que d’autres erreurs du camp français, avait suspendu les négociations autour du chasseur delta. Les tensions avaient été surmontées par la concession des lignes en question mais au même moment la DGA procédait à la commande de 200 missiles Météor au près de MBDA, donnant ainsi le feu vert à l’intégration du missile sur Rafale. Ce missile à stratoréacteur est l’une des plus grandes réussites du missilier européen, allongeant considérablement la portée d’interception. Celui-ci aussi aurait relancé les négociations avec les EAU.
Ces nouvelles caractéristiques d’un Rafale Emiriens seraient probablement évoquées sous la désignation de standard F4, et pourraient aussi bien profiter aux armées françaises si la signature des contrats venait à aboutir.
Nouvelle puissance mondiale, nouvelle concurrence
N’oublions pas qu’une nouvelle concurrence pourrait émerger de la Chine qui vient justement d’améliorer son L15 d’entraînement (copie du Yak130) par l’intégration d’un nouveau radar, d’une nouvelle avionique et d’un système d’armement. Désignée L-15 Lift, cette offre « Low cost » d’avion de combat miniature ne pourrait pas néanmoins prétendre au marché de l’Inde ou des pays du Golfe aux cotés du Rafale, Typhoon ou Super Hornet, mais serait plutôt un concurrent direct d’un BAe Hawk ou d’un M-346 armés. Les possibles prospects seraient le client habituel qu’est le Pakistan ou le Venezuela et quelques pays d’Afrique. Mais il faudra s’attendre à ce que les Chinois lancent un plus gros chasseur, probablement dérivé du J-10, à des tarifs imbattables sur les marchés exports, qui aurait de sérieux atouts par temps de crise comme aujourd’hui. Le Pakistan se serait déjà porté acquéreur pour 36 exemplaires.
Bien qu’au long de cette analyse nous n’ayons pas évoqué les avionneurs Russes tel que Sukhoi ou Mig qui restent très compétitifs sur le marché, à noter que lors d’AeroIndia 2011 le Mig-35 a annulé sa présentation ce qui est traduit par certains comme un retrait de l’appareil du MMRCA.
Les avionneurs peaufinent donc chacun leur offre, mais comme souvent une sélection ne se fait pas seulement sur des critères de performances techniques mais s’accompagne de nombreuses opérations de lobbying, de transfert de technologies, de développement de partenariats, d’évaluation des coûts d’acquisition et d’exploitation et s’accompagne bien trop souvent d’enjeux politiques. Il reste donc toujours très complexe de détecter un favori comme c'est le cas au Brésil avec le Rafale. Ce qui est certain, c’est que les deux compétitions en cours en Inde et aux EAU n’ont pas fini de rebondir.
Arnaud Gonnard
Vidéo de présentation de la technologie AESA par Northrop Grumman