Analyse - Le contrat MMRCA continue à faire des vagues dans le monde feutré de l’industrie de l’armement. Alors que le Rafale et l’Eurofighter Typhoon ont été récemment présélectionnés au détriment de leurs concurrents américains, russe et suédois, on a assisté ces derniers jours à un véritable ballet diplomatique et industriel sur le sous-continent indien, alors que quelques informations sur le processus de sélection semblent avoir filtré dans la presse spécialisée.
Après la visite du Ministre français de la Défense à New Delhi il y a une dizaine de jours, c’était au tour de la Chancelière allemande Angela Merkel de se rendre la semaine dernière en Inde afin de faire valoir les atouts de l’avion de combat Typhoon (nom export de l’Eurofighter).
Les Ministres de la Défense se suivent
Elle était pour cela accompagnée de son Ministre de la Défense Thomas De Maizere. Le gouvernement allemand a donc déployé les grands moyens pour défendre l’appareil d’EADS face au concurrent de Dassault. Et tout comme lors de la visite de M. Longuet, M. De Maizere a déclaré qu’il n’était pas là uniquement pour vendre 126 avions, mais également pour « discuter des moyens d’améliorer la coopération dans le domaine de la sécurité, et de renforcer les mesures de contre-piraterie ». Ceci se place dans la continuité de la Lettre d’Intention signée en 2006. Elle prévoyait l’établissement de trois groupes de travail bilatéraux portant sur les questions politiques et stratégiques dans le domaine militaire, sur la coopération entre les forces armées, et enfin sur la coopération dans l’industrie et les hautes technologies militaires. Ainsi, en plus d'avoir de nouveaux avions, les militaires indiens vont donc avoir l'opportunité de développer des partenariats stratégiques avec plusieurs des meilleures armées européennes voir mondiales.
Par ailleurs, tout en appréciant la transparence et la méthode de sélection du contrat MMRCA, les diplomates allemands ont pris soin de souligner leur engagement à procéder à un transfert de technologies complet et ont annoncé qu’aucune inspection sur site ni certificat d’utilisateur final ne seraient réclamés.
Un contrat quasi vital pour l'industrie aéronautique militaire européenne
On retrouve là plus ou moins les mêmes arguments que ceux de Dassault et de l'Etat français, que ce soit pour le MMRCA ou d’autres contrats tel que le FX-2 au Brésil. Dans le but de compenser leur manque de poids politique face aux Américains, les Européens semblent ainsi prêts à livrer tous leurs secrets dans l’espoir de placer leurs appareils. Si cela peut sembler de courte vue, puisque rien ne dit que les appareils produits en Inde ne seront pas revendus à l’export si aucun contrôle n’est fait, il ne faut pas oublier que ces contrats sont quasi vitaux pour les deux constructeurs. En effet, ceux-ci peinent de plus en plus à maintenir leurs bureaux d’études au travail uniquement grâce aux commandes nationales. Pour prendre l’exemple de Dassault, la France a été obligé de revoir à la hausse la fréquence de réception de ses Rafale puisqu’aucune commande à l’export n’a été faite. Les chaînes de fabrications ne peuvent en effet pas tourner à moins de 11 appareils par an. L’Eurofighter est un peu mieux loti puisque six pays (les quatre pays du consortium + l’Autriche et l’Arabie Saoudite) ont passé commande de plus de 600 appareils. Cependant, l’appareil manquant de polyvalence, EADS est à la recherche de financements pour améliorer les performances de son champion dans le domaine air-sol. Et le fait que deux des quatre Etats du consortium soient engagé dans le programme JSF / F-35 n'arrange pas les choses puisque celui-ci est connu comme étant un siphon à crédits européens.
Pourquoi le Rafale et le Typhoon ?
A Washington, nombreux sont ceux qui pensent que l'élimination des appareils américains est due à la corrupution et/ou aux strictes réglementations régissant les exportations d'armement américains. Cependant, un chercheur du Think Tank Carnegie Endowment for International Peace a entrepris de casser cette croyance en affirmant que ce sont bien des considérations techniques qui ont amené New Dheli à faire ce choix. Selon lui, les Indiens sont à la recherche d'un avion, et non d'une relation stratégique.
Les deux appareils européens auraient ainsi été présélectionnés grâce à leurs excellentes performances en combat aérien rapproché, ou dogfight. En effet, les autres concurrents, notamment américains, ne présentaient pas une agilité suffisante dans ce domaine. Par exemple, l’ajout de réservoirs conformes sur le F-16IN l’aurait rendu moins manœuvrable. Par conséquent, il aurait présenté des performances dans ce domaine inférieures à celles des appareils auxquels il aurait éventuellement dû s’opposer, les F-16 Block 50 dont sont équipés les Pakistanais. Et ce même si ceux-ci sont en plus anciens. Par ailleurs, les F-16 et F-18 n'auraient pas eu le potentiel d'évolution des appareils européens, du fait de l'ancienneté de la conception de leur cellule.
Il est intéressant de noter que les Indiens ont privilégié le combat rapproché et non le combat hors de porté visuelle (BVR), qui aurait éventuellement pu donner l’avantage aux appareils américains. En effet, les avions de Boeing ou de Lokheed Martin auraient été équipés de radar ASEA de deuxième génération, alors que la première génération des radars européens n’est même pas encore en service. Cependant, ce manque de performance des senseurs actifs sur le Rafale ou le Typhoon est compensé par d'excellents senseurs passifs tels que l'OSF ou l'IRST, ainsi que par une excellente fusion des données en provenance des différents capteurs.
Par ailleurs, la presse russe semble également suspicieuse quant à l'élimination du Mig-35. L'agence de presse RIANovosti y voit un choix purement politique, l'Inde cherchant selon elle à diversifier ses sources d'approvisionnement en armement.
«Duel dans le Ciel » entre le Typhoon et le Rafale
Reste à savoir qui des deux industriels parviendra à placer son avion, et par la même occasion à prolonger pour quelques années ses capacités industriels en aviation militaire. Dans un article intitulé « Duel dans le Ciel », le magazine de référence Aviation Week s’est livré à une comparaison détaillée des deux appareils, et a relevé leurs points forts et points faibles respectifs.
La principale différence entre les appareils est largement connue. Elle est par ailleurs la raison pour laquelle la France a choisi de se séparer du consortium Eurofighter dans les années 80. A cette époque, les quatre pays formant ce consortium cherchaient en effet à développer un pur chasseur pouvant faire face à la nouvelle génération d’appareils soviétiques qui venaient ou allaient entrer en service, les fameux Mig-29 et Su-27. L’accent fut donc mis sur le combat air-air, et donc sur la manœuvrabilité à haute vitesse, la portée du radar (et donc sa taille), et une charge importante en missile air-air. L’appareil devant entrer en service dans les années 90, il serait venu en complément des avions d’attaque au sol Tornado, chaque appareil ayant ainsi son domaine d’action respectif. Seulement, voilà, comme tous les programmes d’armement contemporains, le calendrier du programme Eurofighter connut des dérives importantes, et les premiers appareils de série ne sont arrivés qu’à partir du début des années 2000, et à des standards intermédiaires. Ce retard a amené le Royaume-Uni à se pencher sur l’ajout de capacité air-sol à ses appareils puisque ceux-ci seront destinés à durer bien plus longtemps que les Tornado. Cependant, cette volonté de rendre l’Eurofighter polyvalent ne fut pas partagée par les autres partenaires du programme, laissant ainsi le financement des études en grande partie à la charge de Londres. L’intégration de capacité air-sol sur l’Eurofighter se fait donc à une vitesse très réduite. En témoigne la dépendance de l’appareil vis-à-vis du Tornado pour l’illumination des cibles en Libye, n’en faisant donc qu’un auxiliaire, un simple porteur de bombes.
Il n'empêche que l'Eurofighter - Typhoon reste un avion très performant dans son domaine. En témoigne ses succès à l'export, puisque, comme nous l'avons vu, l'avion d'EADS a remporté des contrats en Autriche, mais surtout en Arabie Saoudite, 72 appareils ayant été commandés par le Royaume. Par ailleurs, d'autres Etats ont fait part de leur intérêt pour l'Eurofighter, notamment le Japon, qui n'a pas totalement rejeté l'idée d'en commander suite au refus de Washington de livrer des F-22. Et le Japon est incontestablement un client très exigeant.
L'unique appareil véritablement omnirôle en Europe
De leur côté, les autorités françaises ont dès le début voulu un avion de combat omnirôle, c'est-à-dire apte à effectuer plusieurs missions de types différents au cours d’un même vol. Le choix a été fait de concevoir un appareil plus petit que l’Eurofighter, mais pouvant néanmoins transporter une charge militaire plus importante, et surtout plus diversifiée. Si cela s’est traduit par une portée du radar moindre, la taille de celui-ci étant plus faible, cette petite cellule associée à une conception ingénieuse a contribué à rendre l’appareil bien plus discret vis-à-vis des radars adverses, à défaut de le rendre furtif. Et Aviation Week de préciser qu’il y aurait des preuves quant à l’existence d’un mode d’annulation active implémenté dans le système de guerre électronique SPECTRA développé par Thales.
De plus, si le programme Rafale a également connu des dérives importantes, avec une entrée en service retardée d’une dizaine d’années, depuis le début des années 2000 le programme suit son cours dans les délais prévus. L’appareil est ainsi devenu polyvalent dès 2006, avec le standard F2 et l’ajout d’une première capacité air-sol au travers de l’AASM et du missile de croisière SCALP, puis pleinement omnirôle avec le standard F3. Les récentes opérations en Libye ont permis à l’appareil d’étaler quasiment l’ensemble de ses capacités, et même d’en dévoiler une nouvelle au travers des missions SEAD (Suppression of Ennemies Air Defences) grâce au couple SPECTRA / AASM. En tirant partie de ces deux systèmes, le Rafale a été en mesure de détruire des batteries de missiles sol-air tout en restant hors de la bulle d’engagement de celles-ci. Son système de guerre électronique lui a également permis d’entrer en premier sur le théâtre libyen alors même que les défenses anti-aériennes été intactes, prouvant la confiance des autorités politiques et militaires quant à leurs appareils.
Le Rafale a néanmoins un défaut de poids, son prix. Ceci est la conséquence du faible nombre d'appareils en commande ainsi que de l'extrême sophistication de certains de ses systèmes, qui fait de sa production un véritable travail d'orfèvre. Dassault espère donc engranger des commandes à l'export afin de pouvoir jouer sur l'effet de série et donc de baisser les coûts de production de son avion de combat.
Deux avions de combat répondant à des besoins différents
Pour séparer les deux appareils européens, tout dépendra des priorités de l’armée de l’Air indienne. Le Typhoon aurait montré de meilleures performances en haute altitude, probablement durant les combats air-air, typiquement dans le rôle pour lequel il a été conçu. D’un autre côté, le Rafale aurait une fois de plus démontré sa capacité à emporter des charges importantes sur de longues distances. Par conséquent, si le MMRCA a pour but d’équiper les forces aériennes du pays d’appareils de supériorité aérienne afin de supplanter les appareils pakistanais, il est probable que ce soit le Typhoon qui gagne la partie. Par contre, si comme son nom l’indique (Medium Multi-Role Combat Aircraft) l’appareil retenu doit être multi-rôle et donc mener aussi bien des missions de supériorité aérienne que d’attaque au sol, le Rafale possède un net avantage sur son adversaire.
Les critères de sélection étant tenus secret, nous sommes tenus d'attendre encore de longs mois avant de connaître qui des deux concurrents remportera ce méga-contrat. Dans les deux cas, l’industrie aéronautique européenne n’en sortira que renforcée. Si aucun coup de théâtre ne survient…