Analyse - Visite du Ministre de la Défense, exercices conjoints, remontrances envers l’ennemi pakistanais,… Paris semble bel et bien chercher à s’attirer par tous les moyens les bonnes grâces du gouvernement et des militaires indiens, espérant ainsi se voir attribuer une part importante des contrats d’armements qui se jouent actuellement sur le sous-continent.
En effet, New Dehli compte investir pas moins de 80 milliards de dollars dans les dix prochaines années en vue de moderniser l’ensemble de ses forces armées. En ces temps de disette budgétaire en Europe, ce pays fait figure d’Eldorado pour les professionnels de l’armement.
Une visite de haut niveau
Durant deux jours, les 26 et 27 mai 2011, Gérard Longuet a donc tenu à se rendre lui-même en Inde afin de faire avancer plusieurs dossiers dans lesquels des industriels français sont actuellement impliqués ou en compétition. Il aura rencontré durant cette visite les Chefs d’Etat-major des trois armées ainsi que son homologue indien. Parmi les sujets abordés, on peut citer bien évidemment la compétition MMRCA et le projet de modernisation des Mirage 2000H, dont nous parlions il y a peu, mais également le programme de sous-marins Scorpène qui rencontre certaines difficultés.
De la simplicité d’un unique interlocuteur étatique
Concernant le MMRCA, le Ministre de la Défense a notamment assuré que les équipements français étaient particulièrement attractifs puisqu’ils sont accompagnés d’importants transferts de technologies. De plus, l’Etat français garantie la disponibilité des équipements et pièces de rechange, ainsi que la modernisation des appareils si de nouvelles technologies venaient à apparaître. Il a par ailleurs appuyé sur le fait que le Rafale est un programme national, contrairement à l’Eurofighter, qui fédère quatre pays, déclarant par conséquent « Nous sommes un unique pays, et nos relations datent de 1953. Négocier avec un seul pays qui vous connaissez bien est, j’imagine, plus facile que de négocier avec quatre pays. »
Commentant l’élimination de la compétition des Américains, le Ministre français s’est voulu réconfortant en affirmant que même si la déception devait être grande, les Américains raflent tout de même 50% des marchés mondiaux de l’armement. Et d'ajouter: « ils ont sans aucun doute d’autres motifs de satisfactions ». Les Russes ont d’ailleurs fait connaître leur mécontentement, après avoir été eux aussi éliminés le mois dernier de la compétition en annulant deux exercices conjoints. Les relations entre ces deux pays semblent se tendre de plus en plus, notamment à cause des retards qu’affichent la modernisation du porte-aéronefs Admiral Gorshkov et la livraison de sous-marins nucléaires d’attaque Akula-II. Cependant, la coopération entre les deux pays dans le domaine de l'aéronautique semble se poursuivre, avec notamment la livraison ce mois-ci d'un nouveau lot de Mig-29K navalisés, devant équiper à terme l'Admiral Gorshkov.
Une coopération militaire aérienne et sous-marine
Paris pourrait donc tenter de profiter de ce froid entre Moscou et New-Dehli dans le domaine naval, bien que la construction des sous-marins Scorpène bute également sur des problèmes techniques.
C’était là l’autre principal sujet commercial abordé durant cette visite de deux jours, et il semblerait que le problème ait été résolu sans contentieux majeur. En effet, les officiels indiens ont reconnu que le retard provenait du chantier naval de Mumbai (Bombay) et non de l’industriel français concepteur du Scorpène, DCNS. Ce dernier aurait entamé avec le chantier naval une profonde modernisation des installations en vue de mettre fin à la dérive du programme. Selon Gérard Longuet, « Ce retard est le prix que l’Inde doit payer pour devenir autonome dans la construction des sous-marins les plus modernes au monde... Les efforts de modernisation du chantier de Mumbai portent leurs fruits et nous avons de bonnes raisons de croire qu’il n’y aura plus de nouveaux retards. » . Preuve s’il en est que ceci ne met pas à mal la coopération entre la France et l’Inde, New Dehli avait fait par il y a quelques mois de son intention d’augmenter le nombre de sous-marins de type Scorpènes qui seront livrés à sa marine.
Enfin, pour en finir sur la coopération industrielle entre les deux pays, le ministre français a déclaré que les négociations portant sur la modernisation des Mirage 2000H en sont au stade final et que tout dépendait désormais d’une décision des politiques indiens.
Paris rassure quant à sa coopération avec Islamabad
La rencontre entre le ministre français et son homologue indien aura également été l’occasion pour ce dernier d’inciter Paris à annuler toute livraison d’armement lourd au voisin pakistanais, avec lequel l’Inde est toujours en état de guerre, à propos du territoire du Jammu-et-Cachemire. Gérard Longuet lui a assuré que la coopération entre Paris et Islamabad relevait purement de la lutte anti-terroriste et que seuls des équipements d’interception de communication étaient livrés aux forces armées pakistanaises. La France aurait ainsi découragé le Pakistan de demander à la France des matériels de guerre lourds, notamment dans le domaine naval. On peut rappeler que DCNS travaille également avec ce pays au travers de la livraison des sous-marins de type Agosta. Bien que ces derniers soient de la génération précédente à celle des Scorpène, l’Inde voit d’un mauvais œil son ennemi s’équiper d’une flotte sous-marine.
Ce semblant d’embargo fait bien évidemment suite au raid américain au début du mois de mai, durant lequel Oussama Ben Laden fut abattu dans une résidence située en plein cœur d’un lieu de villégiature d’officiers de l’armée pakistanaise. Cet évènement a logiquement soulevé de sérieuses suspicions quant à la sincérité de l’engagement de cette armée dans sa lutte contre de terrorisme. De plus, un inculpé dans l’affaire des attentats de Bombay en 2008 a récemment directement mis en cause les services secrets pakistanais dans la préparation de ces attentats, ce qui ne risque pas d’améliorer les relations déjà passablement compliquées entre les deux voisins. Ainsi, tant qu’Islamabad n’aura pas prouvé sa bonne foi, la France semble décidée à bloquer toute exportation d’armement vers ce pays.
Le désengagement français fait le bonheur des Chinois
C’est donc probablement suite à ce blocage ainsi qu’au réarmement massif auquel se prête l’Inde que le ministre pakistanais de la défense a demandé à la Chine d’accélérer le processus de livraisons des appareils JF-17 que les deux pays ont développé conjointement. Pékin a accédé à cette requête et devrait livrer sous six mois cinquante appareils de ce type.
Hors, ce programme était encore un exemple du double jeu auquel se livrait Paris dans cette région du monde, en équipant deux frères ennemis puisqu’un consortium Thales/MBDA/ATE devait justement fournir armements et avionique à ces mêmes cinquante appareils pour un montant de 1,2 milliard de dollars. Cependant, la valeur de ce contrat étant inférieure d’un ordre de grandeur à celle du MMRCA, la France s’était résignée en avril 2010 à refuser l’octroie de la licence à l’exportation en vue de préserver ses chances pour le méga-contrat indien. Et il semble que ce choix fut payant (pour l’instant) puisque le Rafale fait partie des deux heureux finalistes de la compétition. Toujours est-il que les JF-17 pakistanais seront équipés à 100% chinois, notamment en ce qui concerne le radar et les missiles, des SD-10 moyenne portée, remplaçant par conséquent le RD-400 de Thales et les MICA de MBDA. « Nous pensons que c’est un bon achat », a déclaré le Ministre de la Défense pakistanais durant sa visite en Chine, mettant en avant la différence de prix entre le JF-17 et le F-16 américain dont souhaitaient se doter les Pakistanais. Le premier coûterait entre 20 et 25 millions de dollars tandis que le second reviendrait à 80 millions, selon ce même ministre.
Des exercices conjoints en signe de partenariat stratégique
Enfin, afin de montrer que la relation entre Paris et New Dehli n’est pas purement commerciale, Gérard Longuet a profité de sa visite pour annoncer que les armées françaises et indiennes organiseront un exercice conjoint nommé Shakti, principalement centré sur les thèmes de la Contre-Insurrection et du Contre-Terrorisme. Cet exercice fait suite à deux autres déjà organisés, la série des Garuda dans le domaine aérien et Varuna dans le domaine naval.
Ainsi, la France semble se rapprocher de plus en plus de cette puissance émergente, qu'elle décrit comme force stabilisatrice dans une région très volatile. Et le Ministre français de rappeler que Paris continuera à pleinement supporter la candidature de l’Inde pour un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Ceci n’est pas sans rappeler le partenariat stratégique déjà établi avec le Brésil. Et les industriels français ont tout à gagner de ces deux rapprochements…