Analyse: Jeudi dernier, Israël et les Etats-Unis annoncèrent la signature d'un contrat de vente de vingt chasseurs furtifs F-35. Ainsi, au cours des dernières semaines, c'est toute une série d'annonces portant sur des contrats se chiffrant parfois à plusieurs milliards dollars qui a été faite par les gouvernements de différents pays de cette région extrêmement crisogène qu'est le Moyen-Orient.
Alors que nombre des crises en cours (crise iranienne, conflit latent entre la Syrie et Israël, instabilité du Liban,...) peuvent dégénérer au moindre malentendu, cette course aux armements risque d'attiser encore un peu plus les rivalités et les suspicions entre les différents protagonistes. Cet article, qui sera suivi d'un deuxième, vise à faire le point sur les nouvelles acquisitions des Etats de la région.
L'Eldorado des industries de l'armement
Le Moyen-Orient est depuis plusieurs décennies un marché privilégié pour les grands groupes d'armement mondiaux. Les nombreux conflits qui y eurent lieu furent souvent l'occasion pour ces groupes et leur gouvernement respectif de tester les nouveaux systèmes d'armes, obtenant par la même occasion le label « Combat Proven ». C'est ainsi que les missiles anti-navire soviétiques firent leur entrée remarquée dans le monde de la guerre navale durant les conflits israélo-arabes, de même que les missiles Exocet français qui atteignirent à maintes reprises leurs cibles lors de la guerre opposant l'Irak à l'Iran dans les années 80.
Les énormes réservent d'énergie fossile aisément exploitables dont disposent plusieurs Etats permettent à ceux-ci de financer les acquisitions des armements les plus sophistiqués, bien qu'il arrive qu'ils ne disposent pas des capacités opérationnelles et doctrinales indispensables à leur mise en œuvre.
Il est possible de caractériser la plupart des grands acheteurs en fonction de leur(s) fournisseur(s). Ainsi, les Israéliens et les Saoudiens achèteront principalement du matériel anglo-saxon tandis que les Syriens iront plutôt se fournir chez les Russes. D'autres feront le choix d'une certaine diversité d'approvisionnement afin de ne pas trop dépendre d'un Etat en particulier et donc de ne pas être soumis à un chantage politique.
C'est qu'ont décidé les Emirats Arabes Unis (EAU) en s'approvisionnant avec une certaine parité auprès des Américains et des Français, de même que les Iraniens qui achètent principalement des systèmes d'armes chinois et russes, ou encore les Turques qui font eux le choix d'une grande diversité puisque possédant du matériel américain, européen voir coréen.
Enfin, certains de ces pays cherchent également à mettre sur pied leur propre industrie de l'armement, notamment au travers de collaborations avec les grands groupes mondiaux, c'est le cas justement de la Turquie ou encore des EAU.
Mais certains Etats font parfois preuve d'une encore plus grande d'indépendance, comme les Israéliens et les Iraniens qui se retrouvent au moins dans leur volonté de ne pas dépendre excessivement du bon vouloir des grandes puissances en ce qui concerne leur sécurité.
Le méga contrat saoudien
Au vu du nombre important d'acteurs, étatiques ou non, présents dans la région, nous nous limiterons ici aux principaux Etats ayant fait récemment l'acquisition de nouveaux systèmes d'armes aéronautiques ou prévoyant d'en faire l'acquisition. Nous commencerons par les deux principaux marchés que sont l'Arabie Saoudite et Israël et qui sont actuellement dans le feu de l'actualité concernant les ventes d'armes. Nous l'avons signalé précédemment, ces deux pays sont tous les deux friands de matériels américains, voir anglo-saxon pour les Saoudiens, qu'ils intègrent au sein de leurs forces à un rythme très soutenu.
Ainsi, récemment, le DoD américain et Riyad ont conclu un accord prévoyant la livraison de matériels de guerre pour un montant de 60 milliards de dollars sur dix ans, soit un des plus grands contrats exports de l'Histoire. Celui-ci porte principalement sur des systèmes aéronautiques. Ainsi, 84 chasseurs bombardiers F-15S seront livrés, il semblerait dans une version améliorée de celle des 72 appareils dont disposent déjà les Saoudiens, la version furtive Silent Eagle n'étant apparemment pas retenue.
De plus, une soixantaine d'hélicoptères de combat AH-64D Longbow Apache seront également acquis, portant donc à plus de 70 le nombre de ces appareils dont disposeront les forces saoudiennes. Enfin, 72 hélicoptères de manœuvre UH-60 Black Hawk et 36 hélicoptères d'attaques légers MH-6 complètent le contrat.
La conclusion de ce contrat fait partie de la stratégie de l'administration américaine qui cherche à renforcer les capacités militaires des pays Arabes du Golfe arabo-persique afin de contrer la montée en puissance de l'Iran sur le plan régional.
A noter que les forces armées saoudiennes ont également fait récemment l'acquisition de 24 Eurofighter, avec 48 en option, auprès de la Grande-Bretagne afin de remplacer les Tornado dont elles disposaient. Les Saoudiens font donc clairement le choix, du moins dans le domaine de l'aéronautique, d'une dépendance envers les puissances anglo-saxonnes. Il ne fait pas de doute qu'en échange de cette « exclusivité » ces mêmes puissances s'engagent à défendre le Royaume en cas de conflit, comme cela s'est passé durant la première guerre du Golfe, et que cela se passera en cas de conflit avec le voisin perse par exemple.
La compensation envers Israël
Il est intéressant de remarquer que chaque fois que les Américains concluent un important contrat avec les Saoudiens ou tout autre pays arabe, ils doivent faire de même avec les Israéliens, afin de « préserver l'équilibre stratégique » dans la région, c'est-à-dire de maintenir l'avance technologique et militaire d'Israël face à ses nombreux adversaires.
L'annonce du "méga" contrat saoudien a donc fait l'objet d'une annonce en parallèle portant sur la fourniture par les Américains d'une vingtaine de chasseurs furtifs F-35A pour un montant de 2,75 milliards de dollars, facture couverte par l'aide militaire américaine d'un montant annuel de 3 milliards de dollars. La vente fut officialisée le 7 octobre à New York au travers d'une procédure FMS (Foreign Military Sale). Tel Aviv devient donc le premier acheteur de F-35 en dehors des neuf nations participant au programme. Selon l'ambassadeur israélien à Washington, le F-35 augmentera la capacité d'Israël à se défendre "soi-même, contre toute menace ou combinaison de menace, n'importe où au Moyen-Orient".
Cependant, cet achat est loin de faire l'unanimité à Tel Aviv. Les militaires de l'IAF auraient en effet de loin préféré disposer de F-22, beaucoup plus sophistiqués et de ce fait réservés aux seules forces armées américaines. De plus, ils souhaitaient disposer des codes sources des logiciels de l'appareil afin d'être en mesure de l'équiper avec des armements et des équipements de guerre électronique indigènes. Bien qu'il semblerait que la Maison Blanche n'ait pas accédé à cette requête (même les Britaniques, pourtant partenaires principaux du programme, n'ont finalement pas eu accès à ces fameux codes sources), les ingénieurs israéliens pourront tout de même "customiser" les appareils via des interfaces type "plug-and-play". Le cockpit sera également adapté à la demande du client afin de le rendre compatible avec le système de commandement aérien C4I du pays. Enfin, les responsables de l'IAF ont demandé l'installation d'un réservoir détachable de 600 gallons. Bien que celui-ci dégrade les performances en termes de furtivité de l'appareil, un officiel israélien a déclaré sous couvert de l'anonymat: "durant certaines missions il est possible de voler sans furtivité sur une partie du trajet, puis de devenir furtif quand vous entrez dans la zone de danger", une allusion à peine voilée à une possible attaque en territoire iranien. Toutes ces modifications feront prendre à l'appareil la désignation de F-35I, tout comme les F-16 en leur temps.
D'importantes négociations en coulisse
La fourniture d'avions de 5ème génération à Israël, alors que les Saoudiens feront au même moment l'acquisition d'avions de 4ème génération, montre bien la volonté américaine de ménager son principal allié dans la région. C'est également dans ce but que les appareils saoudiens seront dotés de versions dégradées des logiciels et équipements radar et de guerre électronique, tout en ne disposant pas d'armements air-sol longue portée. Il est également probable que le fait que les Saoudiens doivent se contenter d'une version améliorée de leurs précédents F-15S et non de la version furtive F-15SE soit du à des pressions israéliennes.
L'Arabie Saoudite est de loin le plus gros acheteur de matériel de guerre américain, bien avant Israël, et est donc une importante source de financement en ces temps de crise et de réduction des budgets militaires américains. Israël n'a donc pu empêcher la conclusion d'un tel contrat mais aura tout de même réussi à en réduire significativement sa portée stratégique. De plus, même si en théorie ces deux pays sont ennemis, ils se trouvent de fait alliés dans leur opposition au régime iranien, qu'ils perçoivent tous deux comme une menace pour leur influence régionale.
Ces deux contrats, de par leur importance, notamment financière et technologique, sont significatifs et pourraient avoir des conséquences sur l'équilibre stratégique de la région. Néanmoins, comme nous le verrons dans un prochain article, les autres pays de la région ne restent pas les bras croisés face à cette montée en puissance de l'Arabie Saoudite et d'Israël, et sont également lancés dans d'importants programmes d'acquisition d'équipements militaires, entraînant la région dans une véritable courses effrénée aux armements.