Analyse : Le 16 août dernier, le Department of Defense(DoD) a publié son rapport annuel tant attendu concernant les nouveaux développements entrepris par les forces armées de la République Populaire de Chine (RPC).
Si celui-ci ne révèle pas d'informations fracassantes, il confirme cependant la volonté de Pékin de disposer des outils de puissance nécessaires à la défense de sa souveraineté et de ses intérêts stratégiques, ainsi qu'à l'affirmation de son statut de puissance mondiale.
En effet, depuis le début 21ème siècle, la Chine s'est engagée dans une phase de modernisation, aussi bien de ses armements que de ses doctrines, en regardant par-delà ses intérêts territoriaux immédiats au profit d'intérêts plus globaux tels que la protection de ses voies d'approvisionnements énergétiques.
La Chine réhausse ses ambitions globales...
C'est notamment dans ce but qu'elle développe sa marine, qui passera dans un futur proche du statut de marine côtière à celui de force océanique. Ces nouvelles capacités sont symbolisées par l'envoie d'une Task Force, bien qu'encore restreinte, au large des côtes africaines pour lutter contre la piraterie ou encore par la stratégie, non officielle, du collier de perles consistant à l'implantation de bases navales le long de la route maritime allant du Moyen-Orient à la Chine. Dans le même temps, elle renforce ses capacités de projection aérienne, au travers de l'acquisition d'une flotte d'avions de transport, de ravitailleurs, mais aussi de chasseurs et de bombardiers à long rayon d'action.
... tout en gardant un oeil sur son voisin.
Si elle a étendu son champ de vision stratégique, la RPC n'en oublie pas moins que la principale menace provient selon elle de son voisin taïwanais, par ailleurs soutenu par le grand rival américain. Pékin refuse en effet depuis des décennies de reconnaître le statut d'Etat souverain à cette île qu'elle considère comme une province rebelle sécessionniste, et reste prêt à user de la force au cas où les responsables taïwanais franchiraient certaines lignes rouges prédéfinies. C'est le cas notamment d'une déclaration formelle d'indépendance, de l'acquisition de l'arme nucléaire ou encore du stationnement de troupes étrangères sur le sol taïwanais. Hors, elle sait que tout conflit entre elle et la République de Chine entraînerait l'intervention des Etats-Unis. L'envoi de deux porte-avions nucléaires dans le détroit de Taïwan en 1996 suite aux tirs de missiles au large de l'île n'a fait que renforcer la volonté des dirigeants du parti communiste chinois de doter leur Armée Populaire de Libération (APL) des moyens d'empêcher toute intervention américaine en cas de conflit ouvert.
Penser une stratégie innovante pour faire face aux Etats-Unis.
C'est dans ce but les stratèges chinois ont mis au point leur stratégie Anti-Access / Aera Denial (A2/AD). Celle-ci est destinée à tenir les forces aéronavales américaines en dehors de deux zones appelées « première et seconde chaînes d'îles », vues comme deux lignes de défenses successives, ainsi que de tenir en respect les Etats inclus dans ces zones afin de les dissuader de mettre leur territoire à disposition des forces armées américaines. La mise en œuvre de cette stratégie a requis de la part des forces armées chinoises, aériennes et navales notamment, un effort très important de modernisation afin de pallier au manque criant de moyens de haute technologie comparativement aux forces adverses.
Les tactiques employées pour faire face à celles-ci sont multiples et suivent un déroulement précis. Les premières phases seront ainsi dédiées à la mise hors-service des outils d'aide à la décision et de commandements (C4ISR) dont sont extrêmement dépendants les américains, que ce soit par des attaques visant les réseaux informatiques et des noeux de communications ennemis ou en mettant hors d'état de nuire les satellites par une combinaison de moyens hard-kill ou soft-kill (destruction par missiles ou aveuglement à l'aide de lasers haute-énergie par exemple). Cette première étape vise à rendre l'ennemi aveugle et de le mettre l'incapacité de mener une stratégie globale et cohérente en l'empêchant de communiquer avec ses forces. Suivront ensuite l'attaque des moyens logistiques et des bases avancées américaines notamment au Japon, en Corée du Sud ou encore sur la plus lointaine île de Guam, le tout à l'aide de véritables pluies de missiles balistiques destinées à saturer les défenses anti-missiles, ainsi que de frappes aériennes menées par des bombardiers et des chasseurs-bombardiers types H-6 et Su-30MKK équipés de missiles de croisières et d'armements de précisions.
Les portes-avions, cibles de choix.
Dans le même temps, les groupes aéronavals seraient eux même harcelés dans leur progression vers le territoire chinois afin de les empêcher de mettre en œuvre leur aviation embarquée, toujours à l'aide de missiles de croisières, tirés aussi bien d'avions que de sous-marins cachés dans les eaux littorales en combinaison avec des missiles balistiques équipés de sous-munitions criblant les ponts d'envol et détruisant les matériels exposés, d'armes électromagnétiques ou encore de têtes manœuvrantes. Ce dernier volet requière de véritables prouesses technologiques, aussi bien dans la traque des groupes à l'aide de radars transhorizon ou de satellites d'observation, mais surtout dans le domaine des missiles balistiques dont le guidage en phase terminale vers une cible mouvante, même si elle est aussi imposante qu'un porte-avion, est des plus complexes du fait de la vitesse de rentrée de la tête. La Chine semble donc reprendre à son compte la stratégie soviétique de saturation des défenses du groupe aéronaval à l'aide des frappes tout azimut tout en y apportant sa petite touche personnelle avec les missiles balistiques qui viennent ajouter une nouvelle dimension dans l'attaque.
Et pendant ce temps, Taïwan serait bien évidemment soumis à une invasion amphibie, Pékin ayant substantiellement augmenté ses capacités dans ce domaine, après avoir vu les défenses du pays annihilées, là encore au moyen de frappes balistiques, plus de mille de ces missiles étant positionnés face à l'île, également à portée de l'artillerie terrestre.
Des lacunes qu'il reste à combler.
Si cette stratégie semble bien rodée sur le papier, il n'en reste pas moins qu'elle ne sera pas forcément aussi efficace lorsqu'elle sera appliquée. Par le passé, l'APL s'est uniquement concentrée sur une guerre menée sur les vastes étendues de la Chine continentale en jouant sur l'effet de masse que lui confère sa population. Elle doit donc tout apprendre des combats en haute mer ou loin de ses frontières, face à un adversaire doté de moyens de haute technologie. De l'aveu même de certains stratèges chinois, il faudra encore un certain temps pour que leur pays soit en mesure de s'opposer efficacement à ses ennemis potentiels que sont le Japon ou les Etats-Unis. Néanmoins il semble bien que les dirigeants de la RPC soient décidés à mener à bien ce vaste projet, sans véritable précipitation et en prenant garde à ne pas omettre certains secteurs tels que l'entraînement, la logistique ou les multiplicateurs d'efficacités (moyens C4ISR).
Après ce bref rappel de la vision stratégique chinoise, nous verrons dans un prochain article les différents moyens matériels dont Pékin dispose ou entend disposer afin d'être en mesure d'appliquer l'A2/AD, mais également d'affirmer ses intérêts globaux, puisque comme nous l'avons vu précédemment, Taïwan, même si elle reste la principale préoccupation de Pékin, ne capte pas tout son attention. L'avènement d'une Chine puissante semble donc bel et bien sur le bon chemin, même si celui-ci reste encore long et tortueux.
Si vous souhaitez approfondir le sujet voici quelques liens vers quelques documents très intéressants:
Rapport du Center for Strategic and Budgetary Assessment, deux auditions d'experts de la RAND devant le congré américain ici et là, ainsi que le fameux rapport annuel du DoD.