Analyse - Comme nous l'avons vu dans un article précédent, les autorités chinoises sont depuis quelques années en train de redéfinir les intérêts stratégiques de leur pays afin d'être en mesure de tirer pleinement parti des atouts que leur confère leur nouveau statut de puissance mondiale.
Cela ne peut bien évidemment se faire sans disposer d'une force militaire moderne et complète, à même de défendre ces intérêts vitaux de l'Etat que sont par exemple sa souveraineté ou encore ses approvisionnements en matières premières dont dépend tant la croissance chinoise.
Les efforts de modernisation de l'Armée Populaire de Libération (APL) se sont principalement portés sur trois secteurs, les forces de dissuasion nucléaire, la puissance navale et enfin, celle qui nous intéressera ici, la puissance aérienne. Ce sont en effet ces vecteurs de force qui permettent à un pays d'affirmer sa puissance à une échelle régionale, si ce n'est globale.
Tout comme en France, l'armée de l'air chinoise (PLAAF) n'a pas le monopole de la force aérienne. En effet, la marine (PLAN) et l'armée de terre ont toutes deux leur propre composante aérienne, bien que les forces terrestres ne disposent pas de voilures fixes. De même, l'armée de l'air ne se contente pas seulement d'opérer dans la troisième dimension, mais contrôle également une part importante de la défense sol-air. Cette dernière devant jouer un rôle très important en cas de conflit avec Taïwan, nous nous y attarderons donc par la suite.
Une restructuration devenue indispensable.
Depuis ces dix dernières années, les forces aériennes de Pékin ont entamé une profonde restructuration. Cela s'est observé notamment par la réduction le nombre de voilures en dotation dans les forces, la plupart étant de deuxième génération donc totalement obsolètes, pendant que de nouveaux appareils de troisième et quatrième générations étaient introduits dans les forces. Ainsi, en 2000 les PLAAF et PLAN disposaient de 3200 chasseurs, dont seulement 75 Su-27 de quatrième génération et 20 JH-7, appareils de troisième génération produits localement. Le reste de la flotte était constitué de Mig-19 et Mig-21 dont la conception remonte aux années 50s. Ces armées ne disposaient donc que de 75 appareils à même de mener des combats au-delà de la portée visuelle. Par ailleurs, ses systèmes de senseurs étaient principalement composés de radars terrestres totalement dépassés, donc sensibles au brouillage, ainsi que d'un unique appareil de détection aérienne avancée et de contrôle (AEW&C). De plus, l'entraînement de pilotes était très restreint, ceux-ci volant moins de 100 heures par an. A cette époque, un conflit avec les Etats-Unis aurait mené à l'anéantissement des forces aériennes chinoises en quelques instants par une USAF et une US Navy dotées uniquement de chasseurs de quatrième et cinquième générations, de bombardiers furtifs et de nombreux appareils de soutiens de guerre électronique et de détection avancée.
La modernisation rapide et contrôlée...
Conscientes de ce trou capacitaire qui se creusait de plus en plus entre les forces armées américaines et les leurs, les autorités chinoises ont donc entrepris un important travail de fond afin de le combler. Ceci a commencé en 1999 par la formulation d'un ensemble de nouvelles doctrines donnant un rôle plus important à la marine et à l'armée de l'air. En parallèle, Pékin s'est efforcée d'acquérir de nouveaux appareils, tout d'abord auprès de fournisseurs étrangers puis en produisant des versions locales à l'aide du reverse engineering, parfois en les améliorant. Ainsi, plusieurs lots de Su-30MKK et MK2 furent commandés à la Russie durant la première moitié des années 2000s. Par la suite, des appareils indigènes firent leur apparition, tels que le J-10, aux capacités similaires à celles du F-16 américain, le JF-17, produit conjointement avec le Pakistan, ou encore le J-11, version améliorée du Su-27
produite localement sans licence. Par ces acquisitions, la Chine a réduit de deux-tiers sa flotte d'avions de deuxième génération, tout en multipliant par quatre celle de quatrième génération. Dans le même temps, le nombre de voilures a été divisé par deux, passant à 1600 chasseurs. Désormais un certain nombre d'entre eux disposent de capacités d'engagement air-air longue portée ainsi que de délivrer des armements de précisions. De plus, la flotte d'avions AEW&C est passée à une douzaine d'appareils et le nombre d'heures de vol des pilotes a été considérablement augmenté, étant désormais comparable à celui de leurs homologues américains.
...mais toujours en cours.
Cependant, si de gros efforts ont été fournis durant la dernière décennie, beaucoup reste à faire pour que les forces aériennes chinoises soient en mesure d'affronter d'égal à égal leurs adversaires potentiels que sont les Américains ou même les Japonais. C'est donc dans cette optique que les autorités du pays continuent sur leur lancée en introduisant continuellement des appareils de quatrième générations, tout en travaillant sur de nouveaux systèmes d'armes, aussi bien dans le domaine de la guerre électronique et des capteurs, que dans celui des drones ou des armements longue portée et/ou de précision. De plus, des rumeurs sont apparues récemment concernant le développement d'un chasseur de cinquième génération, un responsable de la PLAAF ayant par ailleurs déclaré qu'un tel appareil devrait entrer en service dans les forces avant la fin de la décennie. Aux vues des avancées chinoises en matière d'électronique et d'aéronautique, ce calendrier ne semble pas excessivement optimiste.
Une défense sol-air puissante et partie intégrante des stratégies offensive et défensive.
Concernant la défense surface-air aussi bien terrestre que navale, celle-ci n'a pas été oubliée dans cet élan de modernisation. Si par le passé elle était constituée de systèmes indépendants et épars, tel n'est plus le cas de nos jours. En effet, les différentes composantes, radars, unités de tir et centres de commandements sont de nos jours interconnectées au sein d'un réseau global et forment un ensemble organisé en couches successives de défense capables de se défendre mutuellement. Ceci rend désormais l'action de tout agresseur extrêmement hasardeuse, même pour une armée dotée de moyens de guerre électroniques aussi efficaces que celle des Etats-Unis. Cette défense est dotée de multiples systèmes dont les plus dangereux sont indéniablement vingt-huit bataillons de S-300 d'origine russe ou de la version produite localement HQ-9, dont seize dans la variante la plus moderne S-300PMU2 de 200km de portée. Ainsi, la défense sol-air chinoise est à même d'apporter une couverture efficace du territoire chinois, l'ensemble de celui-ci serait couvert depuis 2007, mais également au-dessus du détroit de Taïwan et d'une partie de l'île. En cas de conflit entre les deux Chines, les avions de la PLAAF seraient donc en mesure d'opérer au-dessus du territoire taïwanais sous couverture des défenses basées sol-air de l'autre côté du détroit ou sur des navires de la PLAN, un atout non négligeable.
Les missiles balistiques en complément des forces aériennes.
Enfin, il serait presque impossible de parler des vecteurs aériens chinois sans parler des missiles balistiques. En effet, tout comme dans d'autres pays qui considèrent les Etats-Unis comme un adversaire potentiel, tels que la Russie ou l'Iran, ces armements sont vus comme un moyen de pallier au manque de moyens modernes aptes à faire face à la puissance américaine. Ceci s'explique par le fait que leur vitesse et de leur portée permettent d'atteindre des cibles éloignées en un temps restreint tout en compliquant leur interception par les défenses adverses. Comme nous l'avons vu précédemment, la Chine n'étant pas encore en mesure d'opposer une force aérienne équivalente à celle américaine, elle compense donc cela par un inventaire impressionnant de missiles balistiques de types et de versions des plus diverses dont plus de 1000 CSS-6 et CSS-7 de courte portée face à Taïwan mais également quelques missiles intercontinentaux (ICBM) DF-31A de 11 200km de portée, capables d'atteindre tout point du territoire américain. Par ailleurs, un nouvel ICBM à têtes multiples (MIRV) serait en cours de développement.
Ainsi, la PLAAF et la PLAN semblent être à un moment charnière de leur histoire, puisqu'elles sont désormais capable d'opposer une forte résistance à tout adversaire potentiel, proférant donc à la Chine une capacité de dissuasion non négligeable, plus flexible que celle que lui confèrent ses armes nucléaires. En cas d'un éventuel accroissement des tensions entre Pékin et Washington, que ce soit à propos de Taïwan ou d'un événement imprévisible, il est probable que les dirigeants américains réfléchissent désormais à deux fois avant de se lancer pleinement dans une confrontation avec la nouvelle superpuissance que constitue la Chine.