Au travers de notre dernier article concernant les succès du Rafale lors des différents exercices, nationaux comme internationaux auxquels il a était invité ces derniers temps, il paraissait déroutant de constater que le Rafale ne s'exporte pas. Fait bien connu et largement relayé par la presse, Dassault n'arrive pas à vendre ses appareils à un autre client que l'armée de l'air française. Au travers de l'échec marocain, nous essayerons d'aller plus loin que les éléments de réponse donnés habituellement.
Les raisons données habituellement pour expliquer l'échec commercial du Rafale au Maroc sont les suivantes; En compétition avec le F-16 américains fabriqués par Lockheed Martin, le Rafale ne pouvait pourtant pas perdre ce contrat. En cause, la stratégie commerciale des différents services concernés.
Dassault aurait fait une offre à 1.8 milliards d'euros pour 18 Rafales alors que la DGA affichait une facture de 1.5 milliards d'euros. De fil en aiguille, l'affaire a pris un retard considérable et a surtout fait planer le doute dans les esprits marocains. Au final, une facture de 2.3 milliards est présentée (maintenance et équipements inclus) au gouvernement marocain. Le financement de cet achat devrait alors être financé grâce à un crédit aux conditions du marché et avec garantie Coface. Cependant, la demande transmise au ministère des finances est... refusée. Tout ceci sans parler du changement de gouvernement en France qui repousse encore un peu plus la prise de décision finale. Toute cette affaire prendra enfin sa tournure dramatique puisque le roi du Maroc agacé va faire jouer la concurrence et c'est finalement le F-16 américain qui sera choisi. Moins performant et moins sophistiqué, le F-16 est surtout moins cher. Les américains font alors une offre à 1.6 milliards d'euros pour 24 appareils. Une offre sur laquelle ne peuvent s'aligner les français. A ceci s'ajoute une enveloppe d’aide au Maroc: un chèque de 697,5 millions de dollars au titre du Millenium Account Challenge, signé le 31 août 2007 ainsi qu'un appui politique au Sahara occidental avec l'envoi de nombreux hauts fonctionnaires et diplomates américains au Maroc, entre juin et août, pour relayer le message.
Tout ceci nous amène à nous poser de vraies questions. Comment une entreprise comme Dassault Aviation peut-elle perdre un marché stratégique de cette façon. Les seules raisons techniques et financières sont-elles seules en cause ?
Même si Dassault Aviation souffre d'un mal bien français qui est de croire que produire un avion d'une qualité bien supérieure (ici au F-16) est suffisante pour ouvrir la porte de tous les marchés mondiaux sans avoir à s'adapter aux règles des marchés locaux, ceci n'explique pas tout. En effet, la vente des Rafales au Maroc s'inscrit dans un contexte bien plus large. D'une manière générale, la stratégie américaine face à l'industrie aéronautique française est simple. Tout faire pour empêcher les français de vendre leurs appareils. Les américains savent bien que nous sommes un compétiteur sérieux. La toute puissance américaine ne saurait souffrir d'un rival et ceci, encore moins dans les airs. Maitriser les flottes "potentiellement" ennemies est évidement une priorité pour la sécurité nationale aux Etats-Unis.
La stratégie de puissance de plus en plus menaçante de l'Algérie devient un facteur d'inquiétudes pour le Maroc. (En jeux, le Sahara occidental et ses ressources naturelles.) Que ce soit dans des domaines très variés comme dans l'acquisition en Mars 2006 de 70 SU-30 à la Russie, l'Algérie ré-équipe son armée de façon impressionnante. Ceci ne se fait donc pas au profit de ses voisins qui perdent en influence dans la région. La proposition américaine d'appuyer le Maroc au Sahara occidental est donc la bienvenue. C'est aussi un moyen pour les marocains de se rapprocher de la force de frappe américaine.Autre point, depuis quelques années, les pilotes et officies de l'armée de l'air marocaine vont de plus en plus se former aux Etats-Unis. Avant, cet apprentissage avait lieu en France. Dans la formation des élites du monde entier, les américains s'assurent les voix de ces derniers. Dans cette affaire, le point de vue des pilotes aura souffert de cette influence et leur préférence sera logiquement allée aux F-16.
Il s'agissait également pour les américains de compromettre les alliances stratégiques sur lesquels travaillent depuis des années la France et les pays du Maghreb. Avec l'émergence du projet d'Union pour la Méditerranée et le rapprochement de plus en plus évident entre le Maroc, la Tunisie et la France, les Etat-Unis craignent de perdre leur emprise sur cette région du monde. La montée de l'influence chinoise en Afrique commence elle aussi à devenir un sujet d'inquiétudes pour Washington. Mener une opération de contre-influence par l'Ouest ne semble pas étranger à notre affaire. Dans tous les cas, les Etats-Unis démontre qu'ils n'ont pas mis de côté l'Afrique dans leurs politique étrangère.
Par la prise de contrôle d'un domaine très stratégique comme celui des avions de guerre, les américains se payent le luxe de se rapprocher de la nation marocaine et satisfassent leurs désirs de puissance grandissants dans la région. L'échec de la vente des Rafales est donc plus qu'un échec pour la seule entreprise Dassault.
Retrouvez le reste de notre feuilleton RAFALE en cliquant ICI