Un vent d’austérité souffle sur le vieux continent et tous les grands gouvernements européens se sont lancés dans des plans d’économies pour réduire le déficit des états. Bien sûr les budgets de défense ne sont pas épargnés. Réductions d’effectifs, reports ou annulations de programmes, réductions des volumes de commandess, achats de matériels américains, tout est bon pour économiser quelques millions.
La Bundeswehr sert la ceinture
L’exemple le plus frappant aujourd’hui est celui de l’Allemagne. Le gouvernement Merkel souhaite réaliser 80 Md€ d'économies sur quatre ans, dont 9 à 13 Md€ sur les coupes du budget de la défense.
Aucun programme majeur n’y échappe. Sur les différents scénarios à l’étude, les commandes d’hélicoptères NH 90 pourraient être réduites de 122 à 80 exemplaires ; Celles de l’hélicoptère Tigre UHT de 80 à 40. L’hélicoptère de combat avait subit, quelques semaines plus tôt, plusieurs critiques de la part des autorités allemandes. Le ministère de la défense avait refusé de réceptionner les appareils commandés, sous prétexte que l’aéronef avait des défauts qui ne permettaient pas son déploiement sur le terrain afghan (bien que les mêmes appareils sous les couleurs françaises soient parfaitement opérationnels en Afghanistan). Ceci peut être analysé comme une certaine façon de faire des économies.
Nouveau coup dur pour EADS, aucun financement ne serait accordé au drone Talarion, ce qui incitera encore plus l’industriel à trouver un autre état partenaire ou bien abandonner le projet. Les commandes d’A400M pourraient aussi en subir les conséquences. Une centaine d’avions de combat Tornado pourraient être retirés plus vite que prévu du service et la troisième tranche (3B) de livraison de 37 Eurofighter Typhoon tout simplement annulée.
Réduction de la 3eme tranche des Eurofighter et c’est la Royal Navy qui fait souffrir EADS.
Les Eurofighter italiens sont aussi menacés. Ignazo La Russa, ministre de la défense, a annoncé le 20 juillet l’intention de Rome de réduire sa commande à 25 exemplaires sur la même troisième tranche, qui permettrait une économie de 2 Md€. Les forces italiennes auraient alors 96 Typhoons à disposition au lieu des 121 prévus.
Concernant le Royaume Unis, aucune décision n’a été prise sur la tranche 3B (48 exemplaires pour Londres). Mais La Grande Bretagne prévoit un plan de 36Md£ d‘économie.
Repoussé pour 2012, le programme des avions de patrouille maritime Nimrod MRA-4, devait remplacer les Nimrod MR MK2 qui furent retirés en Mars 2010. A juste titre, de nombreux parlementaires britanniques s'inquiètent de cette décision, qui impacte directement la capacité de la flotte de sous-marins stratégiques de la Grande-Bretagne. Les avions de patrouille maritime (« PATMAR ») font, en effet, partie intégrante du dispositif assurant l'efficacité et la crédibilité de la dissuasion nucléaire. Lors des départs en missions ou des retours de patrouille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, ils font partie du dispositif destiné à sécuriser l'évolution du SNLE sur le plateau continental, avant que celui-ci ne gagne les grands fonds ou retourne à sa base.
Les avions de patrouille maritime sont, enfin, l'un des moyens permettant de mesurer les performances des sous-marins, non seulement des autres, mais également des siens. « La PATMAR est fondamentale pour la dissuasion. En matière de détection passive, elle calibre l'efficacité et la discrétion des sous-marins, qui viennent se confronter à elle lors des exercices », explique un spécialiste.
Le programme des hélicoptères de recherche et de sauvetage a lui aussi été gelé. Alors que la construction du premier des deux nouveaux porte-avions de la Royal Navy, le HMS Queen Elizabeth, a débuté l'an dernier, le sort de son sistership, le HMS Prince of Wales, semble incertain. La commande de ce deuxième porte aéronef pourrait être annulée, ou être retardée significativement, ou bien on pourrait le transformer en porte-hélicoptères afin de remplacer le HMS Ocean (construit en 1998).
Mais l’idée de relancer la coopération avec la France pour le programme CVF fait son chemin. Le design étudié en coopération avec la France entre 2006 et 2008, intègre la possibilité de mettre en place deux catapultes à vapeur de 90 mètres (dont la France avait besoin pour la mise en œuvre de ses Rafales et Hawkeye) et Londres pourrait privilégier la version embarquée catapultable du JSF (F-35C) par rapport à la version à décollage court et appontage vertical (F-35B). Le bâtiment serait alors utilisable par les deux nations qui partageraient le navire. La France, pourrait enfin combler les indisponibilités du Charles de Gaulle, immobilisé tous les 7 ans pour un arrêt technique majeur de 18 mois.
De plus, d’après Nick Witney, expert pour le conseil européen des affaires étrangères interrogé par le magazine Air&Cosmos, «Le Royaume-Unis pourrait beaucoup économiser en abandonnant le JSF pour acheter des Rafales ». Mais cela parait invraisemblable puisque le produit de Dassault Aviation est le concurrent direct de l’Eurofighter en service dans la RAF, ce qui paraîtrait comme une humiliation pour BAe système qui est aussi impliqué dans le programme JSF.
Même si la solution d’un porte avion en commun tient la route d’un point de vue comptable, elle l’est beaucoup moins en pratique. D'abord, Français et Britanniques n'utilisent pas de la même manière leurs groupes aéronavals. Alors qu'en Grande-Bretagne, les bâtiments sont plus des transports d'aéronefs, la Marine nationale, à l'instar des Américains, conçoit ses porte-avions comme de véritables outils de projection de puissance, totalement autonomes dans la mise en œuvre de leur aviation, ce qui implique à bord une maintenance très poussée.
Deuxièmement, si le projet CVF a été étudié en coopération avec la France, cette dernière avait pour le modèle qu'elle souhaitait construire (le CVF-FR, dont la réalisation a été ajournée par le président Sarkozy en 2008) adopté des modifications que n'ont pas retenues les Britanniques. On notera aussi que l'utilisation non permanente d'une seconde plateforme totalement différente du Charles de Gaulle poserait d'insurmontables problèmes de maitrise du bâtiment par des personnels qualifiés. Un porte avion, véritable outils politique, ne peut être à la disposition d’un seul pouvoir, ce qui est encore plus vrai pour la France qui utilise les Rafales du Charles de Gaule pour déployer le missile nucléaire ASMP-A.
Et en France ?
Hervé Morrin entendu par la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, a annoncé que le ministère de la défense devra réaliser une économie de 3,5Md€ entre 2011 et 2013. L’économie réelle à réaliser ne devrait être que de 1,5Md€, le reste étant compensé par des revenus exceptionnels, notamment des cessions d’immobiliers et de terrain, et la vente de fréquence hertzienne aux opérateurs téléphoniques.
L’économie restante sera réalisée grâce au report de certains programmes. Tout d’abord la modernisation des Mirage 2000D devra être reportée pour après 2013. Prolongeant leurs longévités jusqu’en 2030, ce rétrofit permettrait à 77 2000D, de mettre en œuvre le missile air-air Mica, et l’installation d’un radar Thales RDY-3. Ce programme aura permis d’améliorer la polyvalence air-air et air-sol de ces appareils et de palier le manque causé par les retards du Rafale F3 qui arrive qu’au compte goutte dans l’armée de l’air, dont seulement 25 nouveaux exemplaires sont prévus entre 2011 et 2014.
Autre report, celui des nouveaux ravitailleurs MRTT, alors que les C-135FR sont plus anciens que ceux de l’AIR FORCE, Boeing assure que ces appareils ont encore quelques bonnes années devant eux. Ici encore une coopération avec le Royaume Uni parait intéressante, avec la location d’heures de vol des MRTT britanniques. Le programme SCCOA (Système de commandement et de contrôle des opérations aérospatiales) et la mise en orbite de nouveaux satellites Elisa (Capacité de renseignement électromagnétique spatial) ne devraient pas être épargnés par ces mesures. On se souvient des efforts de l’Etat français pour pousser Safran et Thales à fusionner certains de leurs bureaux d’études. En effet la DGA ne peut plus financer les bureaux de R&D d’autant de fournisseurs.
Abandon d’achat de matériel américain.
Rappelons que quelques mois plutôt aux Pays-Bas, la chambre basse du parlement a voté l’annulation de la commande du premier F-35 commandé en Mai 2009, ainsi que l'arrêt de la participation des Pays-Bas au processus de test opérationnel et d'évaluation du Joint Strike Fighter.
Dassault et EADS ayant refusé de faire participer leurs Rafales et Eurofighter à une nouvelle évaluation, le F-35 avait été seulement comparé au Gripen NG et au Advanced F-16, limitant ainsi l'intérêt de l'étude. Le F-35, avec l’explosion de son coup de développement parait moins séduisant aujourd’hui pour beaucoup de partenaires européens.
Néanmoins son exportation en Europe devrait être assurée, puisque c‘est aujourd’hui, le seul appareil (dans la version F-35B) à même de remplacer les Harrier vieillissants, en service dans le groupe aéronavale d’Italie, d’Espagne et de Grande Bretagne. La Roumanie a aussi annoncé que son gouvernement n’était pas en situation financière d’honorer l’achat de F16 d’occasions américains, alors que des industriels comme Saab avaient redoublé d’effort pour placer leurs produits. Véritable frustration pour les entreprises qui dépensent énormément d’énergie et d’argent pour participer aux appels d’offre.
Si ces restrictions budgétaires vont mener certains Européens à plus coopérer, certains comme la Suisse sont prêts à abandonner leur force aérienne. Avec le récent report pour 2020 du remplacement de ses Hornet et le mouvement populaire qui milite pour une Suisse sans armée, on peut penser que le renouvèlement de la flotte helvétique pourrait passer à la trappe. Luxe que ne pourrait pas se permettre la plupart des états européens qui dispose d’une industrie de défense forte et font partie des plus grands exportateurs d’armement du monde.
L’Europe rentre dans un période de récession des budgets militaires qui pourrait durer jusqu’en 2014 ou 2015. Les marchés sur le vieux continent devraient se faire plus rares et la compétition plus rude que jamais. Il faudra attendre de voir comment les industriels vont réagir, et quelle sera la carte jouée par les Américains, cette situation pourrait bien donner de nouveaux arguments à la coopération européenne.
Je remercie tout particulièrement l’excellent site « meretmarine.com » pour leurs compléments d’informations.
Arnaud Gonnard