Comme nous le disions précédemment, l’A400M a effectué avec grand succès ses premiers vols. Malgré la victoire que cela représente aux yeux de tous ceux qui attendaient ce jour avec de plus en plus d’impatience, ces premières évolutions de l’avion sont clairement entachées par les discussions qui vont avec. En effet, les clients du projet qui ont de quoi être mécontents au vue de l’envolée des coûts du programme et de ses retards mettent aujourd’hui en péril l’avenir de cet avion haut de gamme. Entre responsabilités et manque de moyens financiers, les jours à venir seront peut-être les derniers de celui qui pourtant portait les espoirs d’une Europe de la défense qui peine à se concrétiser.
Un front contre EADS ?
Et si un front visant à mettre EADS et sa filiale Airbus Military devant ses responsabilités de maitre d’œuvre se créait ? C’est à priori ce que voudrait l’Allemagne qui aujourd’hui ne souhaite plus signer un chèque plus gros que prévu pour ses 60 avions en commande. Il faut dire que le coût unitaire de l’A400M s’est littéralement envolé avec ces années de retards et flirte aujourd’hui avec les 150 millions d’euros pièce soit, un tiers plus cher. Si on sait que les Européens et leur avionneur phare ont placés la barre très haute en imaginant un avion très haut de gamme et en plus, adapté aux besoins de chaque armée cliente, ce n’est cependant pas une excuse pour autant. Puisque qu’EADS est une entreprise privée en relation avec des clients exigeants, on comprend mal pourquoi les Allemands n’auraient pas raison en plaçant l’entreprise devant ses responsabilités. Ceci d’autant plus que les pays clients mettent régulièrement la main à l’édifice. La Luftwaffe semble ainsi se faire le porte drapeau à la fois de ses propres impératifs économiques et de ceux qui se joindront à elle. D’un autre côté, les voix commencent déjà à s’élever outre-Rhin quant aux possibles retombées économiques que représenterait l’arrêt du programme. En tout, ce serait prêt de 40,000 emplois qui seraient concernés. Si les rumeurs affirment qu’une « liste » de replacement notamment des ingénieurs existerait déjà chez EADS, cette pression interne en Allemagne pourrait largement jouer en faveur de la poursuite du programme et ce, surtout en ces temps de crise.
Toujours dans le sens de la rivalité franco-allemande qui secoue parfois le monde de l’aéronautique européenne, les deux pays ont des approches différentes du problème A400M. A l’image de cette rivalité, les déclarations de l’exécutif de chez EADS se confrontent. Louis Galois, le français et président du groupe se veut rassurant quant à la poursuite du programme. De l’autre, Thomas Enders, l’allemand en poste à la tête d’Airbus menace grossièrement de l’arrêt du programme. Finalement, ça serait « l’avenir même d’Airbus » qu’Enders ne serait pas prêt à mettre en jeu pour honorer le contrat. Rappelons que l’audit récent de PwC révélait que le groupe pouvait prendre en charge la totalité du surcoût s’il le voulait. Aujourd'hui, Airbus doit d'aileurs annoncer une année record en terme de livraisons d'avions civils. Cette déclaration serait, parmi d'autres à mettre au compte des négociations en cours. De son côté, la France tente coute que coute de maintenir « l’équipe » soudée. Le ministère de la défense, qui sera le premier livré pour justement permettre aux autres clients d’être livrés à un standard plus complet, n’en démord pas. On se veut confiant et on ajoute aujourd’hui volontiers que plus qu’un programme aéronautique, l’A400M symbolise l’Europe de la défense de demain. Priorité de la France lors de sa dernière présidence de l’UE, l’idée de s’associer avec les nations voisines en vue de rester compétitive et innovante face à la concurrence étrangère a fait du chemin. Ainsi, le pays tente de calmer le jeu sans pour autant pouvoir accepter n’importe quoi de la part d’EADS.
Des débouchées probables.
En fin de compte, l’A400M, qui devait initialement doter l’Europe d’un appareil menaçant pour le reste du monde commence à faire sourire en dehors de nos frontières. Surtout dans le cas de l’arrêt du programme, inutile de dire que l’appareil marquera les esprits en temps que symbole d’une Europe qui s’enlise dans ses querelles internes et qui ne semble plus en mesure de porter des projets d’envergure. Heureusement, on pourra toujours se rabattre sur un projet comme l’A380 mais n’oublions pas non plus que le succès de ce programme s’est fait sans que les instances politiques s’en mêlent. Cette polémique vient en tout cas entacher l’avenir d’un appareil pourtant promis à un bel avenir. L’avion s’était en effet déjà vendu hors des frontières européennes comme en témoignait la commande sud africaine (de nouveau en discussion) ou les commandes turque et malaisienne toujours en vigueur. En Asie tout particulièrement, l’A400M pourrait voir de nombreuses débouchées. Via la Malaisie, membre du programme pour fournir des éléments composites pour les ailes et les trappes d’atterrissage, Airbus Military pourrait investir le marché asiatique pour mieux rentabiliser son programme. Avec le soutien des nations déjà clientes, c’est dans un premier temps les nations proches de la Malaisie au sein de l’ASEAN qui ont d’ores et déjà été approchées. Les flottes de transport militaires de ces pays que sont les Philippines, l’Indonésie, la Thaïlande, le Viêtnam et Singapour sont actuellement convoitées par Boeing qui ne rencontre pas de concurrence. Si on ajoute que leurs flottes sont vieillissantes et qu’une alternative non-américaine serait la bienvenue dans cette région comme dans d’autres, l’A400M a certainement de bonnes chances de succès sur un marché que l’on estime à 400 appareils pour l’exportation.
Rendez-vous le 14 janvier à Londres.
En dehors des potentiels succès à l’export que l’A400M semble promis à embrasser, les pays clients pourraient tout simplement réduire le nombre de leur commandes. Si la crise a pour le moment impactée négativement les dépenses publiques, réduire le nombre d’avions en commande donnerait plus de champs à la poursuite du programme. Dans un premier temps les pays achèteraient moins d’avions, mais à terme de nouvelles commandes auraient lieu pour combler les déficits opérationnels des armées notamment anglais et français. Or, si cette solution semble la plus probable pour l’issue de la future réunion qui se tiendra le 14 janvier à Londres, elle fait aussi un beau cadeau à EADS. Ainsi, le groupe n’aurait pas à prendre à son compte les surplus qu’il pourrait facturer à ses clients. Le groupe livrerait peut-être moins d’avions dans un premier temps mais finalement, les besoins des armées sont ce qu’ils sont.
Pendant ce temps, Boeing continue de dominer ce marché sans concurrent sérieux. Le C-17 par exemple, même s’il ne peut pas vraiment être comparé à l’A400M mais qui donne toute la mesure de ce marché par sa démesure continu d’intéresser les pays du monde entier. Récemment c’est l’Inde qui se dit intéressée par l’achat de 10 de ces appareils. Les Emirats arabes unis, pourtant proches de l’Europe viennent de passer commande de sept C-17 Globemaster III. Dennis Muilenburg, patron de la branche Défense, Espace et Sécurité de Boeing déclare ainsi : "Comme l'A400M semble s'éclipser, cela présente en effet quelques occasions, à l'international, pour le C-17. C'est un facteur important pour nous"
Le futur de l’A400M devrait donc se jouer très prochainement à Londres. Aujourd’hui, l’avenir de cet appareil techniquement très abouti traverse donc une zone de turbulences très sérieuse. En effleurant la question dans cet article, nous pouvons déjà voir que les acteurs, les moyens de pressions, les impératifs comme les raisons de dire non se confrontent avec violence. EADS parviendra-t-il à ne pas assumer ses erreurs ? Dans cet amas de questions, les réponses sont en suspend depuis bien longtemps maintenant. Le 14 janvier sera-t-il le jour où le destin de l’A400M sera enfin scellé ?
Michael Colaone.