La surprise ne sera pas totale si l'on dit que les Japonais ont depuis la seconde guerre mondiale fait la part belle à l'armement Américain. Dans tous les domaines comme dans l'aéronautique, le pays du soleil levant, dans sa stratégie de se rapprocher des Etats-Unis, est un très bon client des géants états-uniens. Dans ce contexte, les Européens ont toujours eu du mal à vendre leurs produits au Japon, un marché verrouillé et qui pourtant a toujours attiré les convoitises depuis le vieux continent. Or, avec les élections de ce week-end une lueur d'espoir s'est de nouveau allumée dans les yeux d'Airbus et des autres.
Depuis un demi-siècle le Japon était gouverné par des gouvernements conservateurs, peu enclins à s'affranchir de la prédominance des Etats-Unis. Rien qu'en regardant les flottes des grandes compagnies aériennes japonaises que sont la Japan Airlines (67 Boeing 747, 51 Boeing 767, 33 Boeing 777, 35 Boeing 787, 20 McDonnell Douglas MD-80, 16 McDonnell Douglas MD-90-30 et 10 Embraer 170 tous en commande) ou Air Nippon Airways (30 Airbus A320-200, 40 Boeing 737, 19 Boeing 747, 54 Boeing 767, 42 Boeing 777, 19 Bombardier Dash 8 et nous ne parlons pas des appareils non livrés à ce jour ou des 48 commandes de B787 Dreamliner) on se dit bien que la domination de Boeing est, en l'occurrence, incontestable. Et pourtant, Airbus est aujourd'hui le premier constructeur d'avions civils dans le monde et propose des appareils tout à fait adaptés aux besoins et contraintes des opérateurs japonais. Si l'on revient sur l'emblématique A380, on voit bien que depuis plusieurs années maintenant les compagnies aimeraient bien pouvoir se doter notamment de cet appareil unique en son genre et qui répond à une forte demande. C'est la moins conservatrice des deux compagnies, ANA qui jeta d'ailleurs un pavé dans la mare en 2008. L'été dernier, la compagnie avait en effet mis en place un comité de sélection chargé d'évaluer les besoins de la compagnie sur ce type de modèle et de choisir entre l'Airbus A380 et le 747-8 de Boeing. Une commande de 5 appareils était alors envisagée pour un montant de 600 millions de dollars. Pour des raisons politiques couplées à la crise économique, la décision a pour le moment été reportée à une date indéterminée, mais le geste est significatif. Reste que la compagnie a dans l'intervalle commandé 5 B787 supplémentaires en juillet 2009 alors que le programme de Boeing souffre de retards de plus en plus importants.
«Ils nous ont promis qu'ils allaient tout changer»
La déclaration d'un représentant tokyoïte de l'industrie européenne de l'aéronautique et de l'armement reprise par le Figaro symbolise bien l'espoir qui nait pour cet énorme marché. Il faut dire que la révolution politique actuellement en marche dans le pays est quasiment inédite (en 1993 l'opposition l'avait déjà remporté mais n'était pas aussi bien organisée qu'elle ne l'est aujourd'hui) et ouvre des portes aux Européens. Les lobbyistes ne semblent pas s'être trompés car depuis que Yukio Hatoyama, porte drapeau de la gauche, a propulsé son parti vers l'alternance politique les rencontres se multiplient entre les hiérarques du PDJ et les Européens.
Le marché est à la taille des espoirs qu'il semble porter. C'est l'occasion de revenir sur le désir du Japon de renouveler sa flotte de McDonnell Douglas F-4. Si le pays a fait l'effort de renouveler son intérêt auprès de Washington pour l'achat de F-22 Raptor, la démarche est plutôt sensationnelle. Nous avions déjà parlé des discussions entre Israéliens et Américains pour la vente éventuelle de ce chasseur encore interdit à l'export, un fait qui aura surement agacé l'allié japonais. Si d'habitude les compétiteurs doivent redoubler d'efforts pour convaincre un pays d'acheter son avion plutôt qu'un autre, ici la situation est inversée. Un rapport de force que pourront surement exploiter les Européens pour vendre leur matériel de dernière technologie. Ceci d'autant plus que le Japon veut aujourd'hui se doter de sa propre industrie aéronautique. L'exemple le plus récent dans le domaine semble être l'émergence du Mitsubishi Regional Jet dont nous vous parlions auparavant. Or les Européens et notamment les Français se sont récemment montrés plus ouverts que les Américains concernant les échanges de technologies et de savoir-faire. Elément déterminant pour le contrat du renouvellement de la flotte de combat brésilienne, cette expérience, si elle pouvait se concrétiser, jouerait encore un peu plus favorablement pour l'industrie européenne. L'alternative des Japonais vis-à-vis du F-22 reste cependant les F-35 JSF mais rien ne semble encore joué. Ceci d'autant plus que des discussions seraient maintenant en cours pour l'achat d'Eurofighters.