Depuis des années, la guerre informationnelle que se livrent les deux principaux constructeurs de gros avions de ligne, Airbus et Boeing devant l’Organisation Mondiale du Commerce entretient les conversations.
Les plaintes se multiplient devant cette organisation sensée réguler les échanges mondiaux mais au fil des ans, les résultats de ces « enquêtes » font de plus en plus sourire.
Nous allons tout d’abord revenir sur le dernier épisode en date : la plainte déposée par Boeing au sujet des aides gouvernementales accordées à Airbus pour le financement du programme A380. Nous aborderons ensuite la question du financement du futur A350 avant d’introduire notre prochain article qui traitera de la relance par le Pentagone de l’appel d’offres pour le renouvellement de la flotte de ravitailleurs de l’armée de l’air américaine.
S’il y a des requêtes plus gonflées dans les placards de l’OMC, le duel Airbus contre Boeing, ou devrait-on dire Boeing contre Airbus est une illustration du formidable savoir-faire américain en terme de guerre économique. S’il ne fait guère de doute dans les esprits que l’OMC est une organisation internationale a prédominance américaine, le jeu auquel s’adonnent les deux avionneurs ne fait pas toujours sourire.
En utilisant un système particulièrement retord et soigneusement influencé depuis sa création, Washington n’apprécie toujours pas que des Européens lui aient soufflé la place de numéro un sur un marché aussi symbolique que celui qui nous intéresse aujourd’hui. Or, même en appliquant une stratégie parfois brillante, les Américains commencent à se rendre compte que les Européens commencent eux-aussi, à savoir jouer à leur jeu favori.
« La totalité du financement de l’A380 vient d’une subvention interdite ». Les premières conclusions qui se sont dégagées du rapport de l’OMC selon les premières « fuites » sur les fonds utilisés pour développer de très gros porteur européen avaient de quoi inquiéter le premier venu.
Alors que depuis des jours Airbus et ses partenaires affirmaient pouvoir mettre en avant de solides arguments face à l’organisation, les observateurs pouvaient se sentir désorientés. En effet, si la phrase énoncée plus haut s'était révélée exacte, les conséquences auxquelles Airbus aurait dû faire face auraient été très perturbantes. Mais au-delà des premières informations reçues de Washington, les conclusions de l’OMC sont en fait plus nuancées.
En effet, le rapport ne condamnerait pas le système des aides remboursables accordées par les Etats à l’avionneur mais seulement quelques conditions de remboursement de certaines de ces aides. En d’autres termes, ce rapport qui n’est qu’un document intermédiaire et « confidentiel » ne contient en toute logique aucune conclusion condamnant le système de financement européen.
En fin de compte, il semblerait que nous assistions plus à un conflit informationnel plutôt qu’à une réelle enquête de justice. A peine le rapport était-il remis aux autorités américaines et européennes que déjà les déclarations contradictoires fusaient des deux côtés de l’océan.
Sénateurs et autres hommes politiques américains se vantant de la victoire de Boeing, haut gradés des entreprises européennes se félicitant d’avoir évité toute sanction de la part de l’organisation, chacun y est allé à cœur joie pour célébrer une victoire qui finalement n’en est pas une. Ou du moins, elle n’en est pas encore une pour Boeing.
Si l’avionneur aurait certainement voulu faire perdre un temps précieux à son concurrent, on peut dire que pour cette fois c’est raté. Ne restait plus aux Américains qu’à se livrer à un jeu particulièrement efficace et dévastateur, celui des rumeurs et de la déstabilisation. Manque de chance, cette fois-ci la stratégie ne semble pas avoir portée ses fruits.
En définitif, Airbus reste, à juste titre, sur le qui-vive. Si l’OMC ne devrait plus pouvoir handicaper sérieusement le programme A380 aujourd’hui sur les rails, un autre projet européen est en ligne de mire à Washington. Le futur avion long courrier A350 est en train de boucler son financement et une décision négative de la part de l’OMC ferait certainement prendre du retard à cet avion, d’ores et déjà promis à un grand succès commercial.
Ceci en ce sens que si le système des aides remboursables était modifié, Airbus aurait alors du mal à lancer son appareil. Depuis, l’avionneur multiplie les déclarations : « Les aides remboursables au développement est un très bon moyen de lancer des programmes aéronautiques », indiquait Christopher Buckley. Thomas Enders a appelé les gouvernements européens à faire preuve de « courage politique » en continuant de soutenir les programmes d’Airbus, abordant aussi la question de l’A400M.
« Nous devons suivre l'exemple de ces pionniers d'il y a 40 ans, progressant sur le chemin de l'intégration européenne ». Une belle conclusion que nous ne pouvons que soutenir. Dans le cas, même improbable, où Boeing était lui-même condamné suite aux plaintes déposées par Airbus devant l’OMC (là aussi pour des aides gouvernementales) se présentait, Washington, comme dans le passé ne prêterait pas attention à de telles décisions.
MC.