Analyse – L’affaire aura fait grand bruit dans les média. Alors que le Salon du Bourget approche à grands pas, et avec lui sa cohorte de contrats, Air France se retrouve soudainement au cœur de la tourmente médiatique. La compagnie doit faire face à la fronde de plus d’une centaine de députés français cherchant à influencer sa décision sur la commande de long-courriers qu’elle s’apprête à passer.
Air France-KLM vs l’Assemblée nationale
Tout a commencé avec l’intention d’Air France de commander 100 appareils long-courriers, soit la plus grosse acquisition de son histoire, le tout pour un montant estimé à 20 milliards de dollars. Le choix devrait se faire entre le Boeing B787 et l’Airbus A350. Cependant, certains s’émeuvent à l’avance de la soi-disant préférence d’Air France pour les avions de Boeing, celle-ci se faisant ainsi taxer d’antipatriotisme. Le député UMP Bernard Carayon a donc récemment lancé une pétition, recueillant le soutien de 143 de ses pairs, afin que l’Etat français fasse pression sur la compagnie pour qu’elle achète « local », c’est-à-dire des avions Airbus. La France étant détentrice à 15,4% du capital d’Air France-KLM, cela justifierait selon les députés un droit de regard voir même de décision sur le choix qui devrait être fait dans les prochaines semaines. Ils semblent néanmoins oublier qu'avec seulement 3 sièges sur 15 au Conseil d'Administration de la compagnie, l'Etat n'est pas légalement en mesure d'imposer son choix à celle-ci. Ni même de bloquer le renouvellement du mandat du PDG d'Air France, comme le sous-entend la pétition.
Toutefois, il est possible que l’initiative de M. Carayon, connu pour son vif intérêt pour les questions d’intelligence économique, ne soit pas restée lettre morte. Le gouvernement, par l’intermédiaire du Secrétaire d’Etat aux Transports Thierry Mariani, s’est ainsi déclaré « très attentif à ce que l’industrie française soit bien sûr prise en compte ». Si beaucoup voient en cette déclaration une façon élégante d’avertir Air France, il ne faut pas oublier que Boeing sous-traite une part non négligeable des équipements du B787 à des entreprises françaises, par exemple à Zodiac, Thales et même Dassault. Bref, quelque soit la décision d’Air France, il devrait y avoir des retombées économiques pour l’industrie française, même si le choix des Airbus serait plus bénéfique. La déclaration de M. Mariani n’est donc pas forcément si significative.
Les Airbus déjà majoritaires chez Air France
L’argument principal de M. Carayon, qui justifie en grande partie sa pétition, est que la flotte long-courrier d’Air France est constituée en majeure partie de Boeing. La compagnie a en effet préféré le B777 à l’A340-600 à la fin des années 90. Il craint donc que celle-ci ne réitère sa décision de choisir l’avion américain plutôt que son concurrent européen. Il semblerait pourtant que cette crainte ne soit pas justifiée. En effet, les deux appareils n’entrant pas exactement dans la même catégorie, ils répondraient par conséquent à des besoins différents. Comme le faisait remarquer à juste titre un article paru dans Les Echos, le B787 pourra accueillir au plus 300 passagers, tandis l’A350 aura une capacité maximale de 350 sièges. Hors, Air France aurait plutôt tendance à privilégier une plus grande capacité, et donc l’A350. KLM préférerait quant à elle un appareil de moindre capacité, typiquement le B787. De plus, si les long-courriers d’Air France sont principalement des Boeing, les moyen-courriers sont exclusivement des Airbus de la famille A320. Air France a ainsi tenu à rappeler que sa flotte est composéee de 186 Airbus, contre seulement 73 Boeing. Par ailleurs, les pilotes des long-courriers doivent généralement passer par ces A320 de la compagnie avant de rejoindre la catégorie supérieure. En toute logique, le passage d’Airbus à Airbus se fait plus facilement que celui d’Airbus à Boeing, permettant ainsi une réduction des coûts de formation. Cet argument est non négligeable en ces temps de rationalisation des dépenses. Pour reprendre la conclusion des Echos, et si l’on tient compte de ces différents arguments économiques, il semblerait donc que l’on s’achemine logiquement vers un achat mixte A350 / B787. Les premiers iraient à Air France tandis que les seconds seraient pour sa consœur KLM.
La revanche de Paris ?
Un autre argument pourrait pousser à l’achat d’Airbus par Air France. Cette fois-ci, ce serait clairement pour des raisons politiques, en réponse à la victoire de Boeing sur Airbus dans la compétition KC-X, visant à fournir 179 ravitailleurs à l’USAF. Alors que l’avion européen devait gagner la compétition, si seuls les arguments techniques et économiques avaient prévalus, c’est le KC-767 du constructeur de Seattle qui l’a emporté. Bien que les officiels américains se soient défendus d’un choix politique, de très lourds soupçons pèsent sur l’attribution de ce contrat. L’Etat français pourrait alors être tenté de faire pression sur Air France pour favoriser l’industriel européen afin de faire comprendre aux Américains que les lois du libre-échange doivent s’appliquer dans les deux sens et non pas dans un seul. Il est fort possible que Paris n’ait pas attendu la pétition des députés pour user de son influence sur Air France, 15,4% de parts donnant tout de même un certain pouvoir. Du moins, on peut l’espérer…
Turbulences entre Air France et Airbus
Il reste un possible bémol face à tous ces indices semblant favoriser un achat d’Airbus par Air France. Bien que ceci ne soit que suppositions, on peut penser que l’actuelle enquête du BEA sur le vol AF-447 Rio-Paris tende les relations entre l’industriel et l’opérateur privé. En effet, le but de cette enquête n’est autre que de déterminer qui d’Airbus ou d’Air France est responsable de ce crash impliquant un A330 et qui a causé la mort de 228 personnes. Officiellement, les deux parties n’affichent aucune hostilité vis-à-vis de l’autre, laissant l’enquête suivre son cours. Cependant les conclusions de celle-ci pourrait impacter de manière non négligeable les affaires du désigné coupable. Il est donc probable qu’une bataille ait lieu en coulisse entre le constructeur et la compagnie. Après la publication du premier rapport du BEA il y a quelques semaines, il semblerait qu’Airbus soit en position favorable, du moins au niveau médiatique. La plupart des média tendent à se focaliser sur le comportement des pilotes, avec parfois des arguments douteux (l’absence du commandant de bord dans le poste de pilotage par exemple). Si ceci n’est pas une raison suffisante en soi pour empêcher une commande d’Airbus par Air France, cela pourrait cependant durcir la position de la compagnie dans d’éventuelles négociations commerciales.
Dans tous les cas, la décision finale n’est pas entendue avant la fin du mois de juillet. De nombreuses tractations pourront alors encore avoir lieu entre les différents protagonistes. La compagnie a tenu à préciser que le choix se fera sur des critères économiques, ce contrat engageant la compagnie sur le très long terme. Cette affaire de patriotisme économique n'est donc pas terminée, et pourrait être suivi d'une autre, celle du remplaçant des drones Harfang de l'armée de l'Air. Là encore, de nombreux députés s'opposent à l'achat de drones Reapers américains et cherchent à promouvoir l'industrie européenne. Cependant, ceci est une autre histoire, que nous vous conterons prochainement !