Au mois de janvier, le Premier Ministre François Fillon avait demandé un rapport devant donner les bases d'une réflexion sur l'avenir des lanceurs en Europe. Les rapporteurs étaient Bernard Bigot, administrateur du CEA, Yannick d'Escatha, directeur général du CNES et Laurent Collet-Billon, Délégué Général pour l'Armement.
Le rapport a été publié récemment, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il suscite de nombreuses réactions.
Avant tout, il faut signaler que ce document a le mérite d'exister. L'Europe a déjà abandonné l'exploration de l'Espace, et elle manquait clairement d'une impulsion dans le domaine hautement stratégique des lanceurs. On ne peut que se réjouir que la France ait choisi de donner cette impulsion.
Dès le tout début du rapport, on voit que les auteurs s'en prennent clairement au programme « Soyouz en Guyane », en écrivant que « la capacité européenne d'accès à l'Espace doit être autonome », et que cela suppose de disposer d'une « gamme de lanceurs européens développés et produits en totalité en Europe ».
Ce n'était un secret pour personne, l'arrivée de Soyouz à quelques kilomètres de l'ELA3 n'a jamais eu la bénédiction du CNES. Le projet avait été quelque peu imposé par Jacques Chirac au tout début des années 2000, alors que la fin d'Ariane 4 était proche et qu'un grave déficit capacitaire pointait à l'horizon.
Deux choix s'offraient alors à l'Europe : développer elle-même un nouveau lanceur moyen, ou utiliser Soyouz. Si l'on avait opté pour la première solution, cela aurait coûté extrêmement cher en R&D, et cela aurait pu prendre très longtemps avant de disposer d'un lanceur fiable. On se rappelle les débuts difficiles d'Ariane 5 sur la période 1996-1999.
Et pendant ce temps, que ce serait-il passé ? Les Russes cherchaient absolument des partenariats internationaux pour exploiter leurs lanceurs. Lockheed avait déjà fait main basse sur Proton en créant ILS, et Boeing était sur la brèche concernant Soyouz avec un premier projet intitulé « Soyuz by Boeing ».
Si nous n'avions pas « réservé » la place, nul doute que le groupe de Seattle se serait jeté dessus, et aujourd'hui, non seulement Arianespace n'aurait pas de lanceur moyen, mais en plus de cela les Américains en auraient un, fiable et pas cher !
N'en déplaise aux industriels européens, accueillir Soyouz dans notre bien-aimé Centre Spatial Guyanais était le seul choix raisonnable. Certes, développer notre propre lanceur aurait eu des retombées industrielles incalculables, mais comme, au final, il aurait été commercialement inexploitable, il aurait constitué un véritable fardeau pour Arianespace comme pour Astrium.
De même, les auteurs du rapport de François Fillon précise qu'à l'horizon 2020-2025, le lanceur léger Vega aura encore un « excellent potentiel », mais uniquement « sous réserve d'une modernisation de l'étage supérieur ».
Rappelons que l'étage en question, appelé AVUM, est propulsé par un moteur RD-843 de fabrication ukrainienne. Là encore, ce choix a été fait faute de mieux, parce que développer nous-même un moteur de ce niveau de performances aurait prit trop de temps et d'argent.
Derrière le discours officiel vantant la coopération euro-russe se cache donc une réalité bien plus pragmatique. Le rapport ne le dit pas aussi franchement, mais il préconise ni plus ni moins d'abandonner ladite coopération dès que cela sera possible.