Au cours du dernier mois, la branche italienne du groupe Thales Alenia Space (TAS) a signé pas moins de trois contrats d'une importance capitale pour l'avenir du transport spatial européen.
Le plus spectaculaire est sans doute celui lié au programme américain Cygnus. Il s'agit d'un vaisseau de ravitaillement privé pour la Station Spatiale Internationale, dont la maîtrise d'œuvre a été confiée au groupe américain Orbital Science Corporation. Ce dernier construit la plate-forme (notamment à partir d'éléments de la sonde Dawn et des satellites STAR GEO) et a sous-traité à TAS le développement du module pressurisé (PCM), celui qui abritera la cargaison. Neuf exemplaires sont d'ores et déjà commandés.
Parallèlement à ce juteux contrat, TAS s'est également vu confier par l'ESA la réalisation des véhicules expérimentaux IXV et EXPERT. Le premier est un projet extrêmement ambitieux visant à donner à l'Europe la maîtrise de la rentrée atmosphérique avec des corps portants. Le second, tout aussi important, est un petit véhicule qui sera lancé l'année prochaine sur une trajectoire balistique afin d'étudier des phénomènes liés à la rentrée atmosphérique.
Actuellement, TAS Italie développe déjà les modules logistiques MPLM qui sont placés dans la soute de la navette américaine et qui permettent de transporter du fret vers l'ISS. La filiale italienne est aussi à l'origine du module Columbus, le QG de l'Europe en orbite basse, et elle a construit pour le compte de la NASA deux autres petits modules de l'ISS, Harmony et Tranquility. Elle a également développé la partie pressurisée de l'ATV.
C'est donc une myriade de projets technologiquement très pointus que l'Italie peut maintenant accrocher à son palmarès. L'industrie de la péninsule profite largement de cet entrain, et il est impossible d'évaluer les innombrables retombées économiques d'un tel savoir-faire.
A l'heure où des projets de vols habités semblent se dessiner sur le Vieux Continent, il est évident que le groupe Thales Alenia Space est très bien positionné. Il est en effet devenu le champion absolu en Europe de la construction de matériel lié au vol habité, et il sera incontournable le jour où LA décision - celle de rattraper notre demi-siècle de retard - sera prise.
Une telle suprématie italienne est un fait admis mais relativement nouveau. A l'époque maintenant reculée où l'Europe avait de l'ambition, un projet de navette spatiale, baptisée Hermès, avait vu le jour et avait mobilisé les industries européennes pendant près d'une décennie. Les études avaient été réalisées principalement par la France et l'Allemagne, l'Italie n'ayant prit qu'une part mineure dans le programme.
Il est clair que le centre de gravité des compétences européennes en la matière s'est depuis fortement déplacé vers le sud-est. En cause ? Les difficultés budgétaires des deux côtés du Rhin et le coup d'arrêt dans les ambitions spatiales qui a marqué le passage de Claude Allègre au Ministère de la Recherche, sous le Gouvernement de Lionel Jospin.
Lors de cette époque quelque peu troublée pour le spatial français, le Ministre aux opinions pour le moins surprenantes avait décidé d'honorer les engagements de la France pris en 1995, puis de stopper net les investissements dans les domaines des technologies liées au transport spatial et à l'exploration.
Résultat : les compétences acquises par l'Aérospatiale et Dassault, les deux principales entreprises qui, plus tôt, s'étaient engagées dans le programme Hermès, ont traversé les Alpes et se sont installées à Turin, dans les locaux de Thales Alenia Space.
Le binôme « traditionnel » franco-allemand subsiste, et s'est vu par exemple confié les études préliminaires du vaisseau ARV le mois dernier. Mais si ce projet se concrétise, il y a fort à parier que, pour la réalisation du module pressurisé de l'ARV, Astrium fasse appel à... Thales Alenia Space !