C'est bien connu, en matière de transport spatial, les Européens sont les meilleurs. Ariane 5 est le lanceur le plus performant du monde, et il écrase la concurrence des autres nations. Sauf qu'en disant cela, on omet un fait pourtant bien réel : Ariane et Proton, sa principale concurrente, ne sont pas jugées selon les mêmes critères !
Examinons le bilan provisoire de l'année 2009. Ariane 5 a effectué trois vols, tous réussis, qui ont permis de mettre en orbite deux satellites institutionnels, Herschel et Planck, ainsi que trois satellites commerciaux, TerreStar 1, Hot Bird 10 et NSS-9.
De son côté, le concurrent ILS a réalisé quatre missions, elles aussi toutes couronnées de succès. Ce sont quatre satellites commerciaux qui ont été mis en orbite géostationnaire : W2A, ProtoStar 2, Sirius FM-5 et AsiaSat 5.
A première vue, en ce milieu d'année, les bilans sont donc sensiblement égaux, tant en terme de nombre de vols effectués qu'en terme de satellites à lancer. Mais voilà, on en oublierait presque qu'ILS, contrairement à Arianespace, n'a pas l'exclusivité sur son lanceur !
Outre ses quatre vols commerciaux, Proton a aussi réalisé deux tirs institutionnels pour le compte de l'agence nationale des télécommunications (GPKS) et du Ministère de la Défense. D'ici à la fin de l'année, ce sont encore trois de ces missions d'Etat qui doivent avoir lieu.
Pour Arianespace, des organisations comme l'ESA ou les Ministères de la Défense européens sont des clients comme les autres. L'ATV, les satellites Hélios ou Skynet sont des charges utiles institutionnelles, mais considérées comme commerciales ! Par exemple, dans le cas d'Herschel/Planck, l'ESA a dû payer pour utiliser son propre lanceur, puisqu'il est officiellement géré par Arianespace.
En plus, depuis quelques années, la règle de la préférence européenne a été officiellement reconnue, notamment sous l'impulsion du Président Jacques Chirac. Le fournisseur de services de lancement français a donc l'assurance d'un « marché institutionnel » minimum.
Les vols institutionnels russes, quant à eux, ne rapportent pas un kopeck à ILS ! L'Etat russe se réserve le droit d'exploiter parallèlement son lanceur, contrairement à l'ESA qui l'a totalement cédé à Arianespace.
Si l'on évaluait Arianespace avec les mêmes critères qu'ILS, elle n'aurait effectué que deux vols pour lancer trois satellites. A comparer aux quatre vols et aux quatre satellites d'ILS...
Reste que cette différence de traitement a aussi ses inconvénients. A Baïkonour, Proton dispose d'un pas de tir séparé et de bâtiments d'assemblage supplémentaires pour que les lancements commerciaux n'interfèrent pas avec ceux de l'Etat. Rien de tout cela à Kourou.
Et pourtant, les tirs institutionnels sont quand même considérés comme prioritaires. Etant donné que les campagnes de lancement des sondes, observatoires spatiaux, ou autres vaisseaux de ravitaillement sont souvent tumultueuses et sujettes à de nombreux reports, le calendrier d'Arianespace est un vrai casse tête.
L'année dernière, par exemple, le premier vol de l'année était celui de l'ATV Jules Verne, et ses multiples reports ainsi que la complexité des opérations au Centre Spatial Guyanais ont complètement chamboulé le planning des tirs commerciaux. Au grand dam des clients !
Les Européens ne devraient donc pas trop se reposer sur leurs lauriers. Si le consortium Sea Launch est en train de quitter la course - ce qui est d'ailleurs tout sauf définitif - ILS est quant à lui bien décidé d'y rester. Et le match promet d'être serré !