Article coécrit par Nicolas Pillet et Michael Colaone.
Le monde compte actuellement trois systèmes de navigation par satellite, à divers degrés d'avancement.
Le premier, et aussi le plus connu, c'est bien sûr le GPS américain, constitué de 24 satellites. Pour les utilisateurs civils, le signal a une précision de l'ordre de 20 m, car il est volontairement brouillé, de manière à ce que les militaires soient les seuls à bénéficier de la précision maximale.
Le système russe, baptisé GLONASS, a une précision maximale de 20 m, disponible pour tous les utilisateurs. Il a été lancé sous l'Union soviétique, mais suite à d'énormes problèmes de financement il n'est pas encore complet. Toutefois, le Président Poutine en avait fait une priorité nationale, et ce ne sont pas moins de six satellites par an qui sont lancés.
L'un des grands avantages opérationnels du GLONASS réside dans la masse de ses satellites. Pesant moins de deux tonnes, ils peuvent être mis en orbite par grappes de trois avec des lanceurs Proton. Les Américains, en revanche, doivent procéder à des lancements individuels avec des fusées Delta II.
L'Europe, quant à elle, met en place son fameux Galileo. Quand les trente satellites, de moins de 700 kg, seront tous en place, le signal donnera une précision inférieure à 1 m. Cela est rendu possible notamment par l'emploi des horloges atomiques les plus précises jamais utilisées dans l'Espace.
Qui s'étonnera alors que les Américains voient d'un mauvais œil ce projet européen qui viendrait directement concurrencer le système GPS ?
Par le biais de leur GPS, les américains se sont assuré une suprématie mondiale et non négociable. Tout personnel civil ou militaire souhaitant un accès au système de localisation par satellite est de près ou de loin sous contrôle du ministère de la défense américain. Formidable outil de contrôle comme de propagande, le GPS est une des fiertés du système de défense des Etats-Unis. La grosse machine hollywoodienne s'en sert pour faire son show, cette technologie est devenue un gage de précision même pour les frappes militaires dites chirurgicales. Alors que sa précision maximale serait de 3 mètres, tout ce système volerait en éclat si les Européens mettaient en orbite un système capable d'une précision au mètre près.
Et c'est bien une menace que les Américains ont pris au sérieux. A voir, tous les efforts mis en œuvre depuis des années pour déstabiliser la construction du projet Galileo. Les Européens se sont récemment félicités d'avoir remporté ce duel transatlantique en n'ayant lâché que sur certains points « techniques » nécessaires. En réalité c'est une belle victoire qui revient aux Américains qui une fois de plus réussissent brillamment à imposer leurs normes ainsi que leur suprématie au vieux continent. L'Europe avait une avance technologique mais, à force de conflits internes et de manque de courage politique les Américains ont gagné du temps pour développer un GPS III plus précis et surtout, en nous imposant leurs normes, ils font de Galileo une menace tout à fait docile si besoin est. Ceci sans parler des puissances étrangères russe et chinoise qui elles aussi ont perçu la dimension stratégique du problème et développent leurs propres systèmes sans demander l'avis de Washington.
Tout commença par une campagne de dénigrement particulièrement violente auprès des instances européennes. Ceci à tel point que Gilles Gantelet, porte-parole de la commissaire européenne chargée des transports, déclara le 17 janvier 2002 au quotidien en ligne Wired News «Galileo est pratiquement mort». Paul Wolfowitz, alors secrétaire adjoint à la Défense demandera aux ministres européens des transports de bien vouloir reconsidérer la création de Galileo et ceci, dans l'intérêt de l'OTAN. Un jeu des alliances grossier qui ne fonctionna pas longtemps. En effet, l'Europe se réveilla et valida le projet mais les Etats-Unis contre-attaquèrent en tentant d'imposer des composants américains au sein même des satellites de la future constellation Galileo. La sensibilité européenne perçu alors un vrai risque pour sa souveraineté satellitaire à venir et refusa en bloc ce transfert de technologie.
C'est alors que le débat sur la cohabitation des deux systèmes de localisation s'ouvre. Une nouvelle illustration de la guerre des normes que mènent les Etats-Unis dans le monde. De bonne foi, les deux systèmes GPS et Galileo seront interopérables mais le Pentagone va ensuite abattre une nouvelle carte. Ils vont alors mener une opération de lobbying remarquable visant à faire comprendre que les fréquences utilisées par Galileo viendraient faire interférence avec celles des prochaines mises à jour du GPS. Il est vrai que la précision du signal européen va être moins précise mais il est de bonne mesure de ne pas interférer avec les systèmes alliés déjà en place. Mais comment feront alors les Américains pour améliorer la précision du GPS une fois Galileo en place ?
« On a fait preuve de flexibilité » reconnaissait un européen à l'issue de ces négociations ... « C'était le prix à payer pour obtenir aujourd'hui le feu vert définitif de Washington ». Enjeu majeur du programme Galileo, le système permettra aux armées du vieux continent d'utiliser leur propre système au lieu de le louer aux Etats-Unis. Seulement voila, les Européens ont dû accorder aux militaires américains le droit de brouiller le signal Galileo pour empêcher une utilisation « hostile » et protéger les forces américaines déployées sur des zones de conflits. Selon Heinz Hilbrecht, l'inverse sera également possible puisque le Pentagone aurait donné son accord.
L'idée était belle mais l'Europe semble ne pas être encore suffisamment courageuse pour mener de grands projets comme Galileo. Cependant, malgré une certaine frustration nous ne pouvons que saluer la mise en place prochaine de Galileo qui malgré tout permet à l'Europe de rester dans la course à la suprématie technologique mondiale. Le but de la campagne de lobbying américaine était clairement de faire échouer ce projet. Malgré quelques précieux points marqués, la victoire américaine n'est que partielle. Cependant, les européens vont devoir faire face à d'autres menaces. En associant la Chine au développement de Galileo en 2004, c'est une nouvelle balle dans le pied qui va venir nous handicaper.