EADS-Northrop Grumman bientôt de retour face au protectionnisme américain voici l’affiche qui devrait se tenir mardi 23 février à l’occasion d’une nouvelle émission d’appel d’offres par le Pentagone pour le renouvellement de la flotte d’avions ravitailleurs de l’US Air Force (USAF). En effet, l’armée américaine devrait rendre publics les termes de son nouvel appel d’offres entre le 23 février et la fin du mois. Ce sera donc la troisième fois que l’USAF tente de renouveler sa flotte de KC-135 vieillissants. Après deux tentatives avortées, il se pourrait qu’un seul candidat soit en lice pour décrocher le contrat, Boeing. L’armée de l’air affirme pouvoir se permettre une telle situation.
Alors qu’en 2008 on pensait l’affaire acquise au bénéfice de l’alliance créée entre EADS et Northrop Grumman, c’était sans compter le pouvoir qu’exerce Boeing outre-Atlantique. Ce contrat évalué entre 35 et 40 milliards de dollars soit 23 à 26 milliards d’euros porte sur l’acquisition de 126 appareils. Cette première tranche s’inscrit dans un marché qui s'étalera sur 30 ans à un prix fixe et dont les livraisons devraient avoir lieu au rythme de quinze avions par an.
Boeing était pourtant le grand favori surtout après avoir remporté le premier appel d’offres annulé pour fraude en 2003. Marché militaire le plus important de la planète, les États-Unis ouvraient enfin leurs portes à des projets d’envergure pour le consortium européen. Les appareils fabriqués par Airbus en coopération avec Northrop aux États-Unis étaient pourtant jugés comme la meilleure offre par le gouvernement. À noter que le partenaire d’EADS se porte bien. Au quatrième trimestre, le groupe a dégagé un bénéfice de 413 millions de dollars.
« Plus de passagers, plus de cargo, plus de carburant transporté, plus de flexibilité », les arguments ne manquent pas à l’Air Force pour qualifier l’offre basée sur l’A330 MRTT baptisée KC-45 pour les États-Unis. L’offre de Boeing était quant à elle basée sur le B767. Or, ce marché réputé comme impénétrable a été fidèle à sa réputation. À force d’un lobbying très actif, l’avionneur américain arrivera à faire annuler cette décision pour finalement relancer l’appel d’offres cette semaine. À Seattle, pas question de perdre un contrat pouvant atteindre les 179 appareils. Et pourtant, l’offre faite par Boeing n’est qualitativement pas comparable à celle faite par Airbus et Northrop.
L’A330 a été choisi pour ses grandes qualités dans une compétition où le prix n’était pas le principal argument. Côté protectionnisme on pensait avoir géré le coup chez EADS en proposant que les appareils soient assemblés en Alabama. C’était sans compter avec la « fidélité » qu’accordent certains hommes politiques à Boeing. Le républicain Duncan Hunter, membre de la Commission des forces armées de la Chambre des représentants ne manquera pas de déclarer : « la décision de l'US Air Force va coûter plus de 100.000 emplois» aux États-Unis, en profitant à « des gouvernements européens qui refusent de nous soutenir dans la guerre contre le terrorisme».
L'affaire "Druyun" plane encore.
L’affaire met en évidence la force de frappe de Boeing sur le Pentagone. En effet, l’affaire même des ravitailleurs a été initiée en 2001 par l’avionneur alors que l’USAF n’en avait pas fait une priorité. C’est en faisant pression sur un organe interne au Pentagone que ce besoin, plus tard qualifié d’urgent sera mis en évidence. Usant de son indiscutable influence, l’avionneur fait même approuver au Pentagone un contrat de leasing très élevé.
Le Congrès interrogé sur la question décidera finalement de faire rentrer l’alliance EADS- Northrop Grumman dans le jeu. Ces tentatives de mise sous pression rassemblées dans l’affaire « Druyun » rendront les relations entre le Pentagone et Boeing tendues alors que l’avionneur américain était favori. On se demande alors si les équipes de Seattle n’auraient pas paniqué face à la montée en puissance d’Airbus ? Une panique étonnante à la vue des appuis politiques forts qui soutiennent le groupe. Pour réinitialiser l’appel d’offres, c’est une nouvelle décision politique prise par le GAO qui mettra en évidence des « erreurs » commises par l’USAF.
Une compétition potentiellement inégale.
Mais une nouvelle fois, Boeing aurait bien eu raison d’une compétition pure avec son concurrent. EADS- Northrop Grumman aurait ainsi reçu la preuve que le gouvernement américain aurait fourni la grille tarifaire de Northrop à Boeing. Un partage à un seul destinataire « particulièrement injuste » pour les négociations à venir. De plus, alors que le prix n’était pas totalement déterminant lors des discussions précédentes, le prochain appel d’offres sera plus accès sur ce dernier. Le sénateur Richard Shelby dénonce « la trop grande attention au fait que le prix le plus bas devait gagner, sans considération pour les capacités offertes ». Le parlementaire, qui siège à la commission bancaire du Senat, a décidé de bloquer environ 70 nominations du président Obama pour exprimer son mécontentement face à la tournure prise par cet appel d’offres.
On comprend alors que Northrop se déclare particulièrement préoccupé par cette fuite d’informations. L’alliance laisse à ce jour toujours planer le doute quant à son possible abandon de la compétition. Coup de bluff ou pas, la pression monte encore d’un cran alors que le groupe attend d’examiner les conditions de l’appel d’offres pour se prononcer. Côté français on a clairement pris position pour un traitement d’égal à égal sur ce dossier. À Hervé Morin de déclarer : « J’ai eu l’occasion de rappeler à mon ami Robert Gates que lorsqu’on était un pays défendant l’économie de marché, ça ne pouvait pas se faire à sens unique ».
En attendant, Boeing a gagné du temps et proposera surement une nouvelle offre technique basée sur le B777. Une offre que le groupe n'était pas en mesure de fournir précédement.
Un jeu d'acteurs influents est en marche.
Aujourd’hui c’est à une lutte d’influence que vont se livrer les deux protagonistes. Au centre des débats, les sénateurs concernés par ces projets industriels. En Alabama, Richard Shelby ait et Jeff Sessions sont bien décidés à voir arriver les 600 millions de dollars d’investissement prévu par EADS-Northrop Grumman. Ce sont ces deux sénateurs qui avaient officiellement dénoncé les irrégularités de l'appel d'offres à venir auprès de Robert Gates, secrétaire d'État à la défense. L’alliance s’est engagée à créer plus de 11 000 emplois dans ces États. Une chose certaine face à la menace de M. Hunter présentée plus avant. Norm Dicks et Sam Brownback sénateurs de l’état de Washington et du Texas présentent eux un risque pour la sécurité du territoire. Ils sont appuyés dans leurs démarches par d’autres sénateurs démocrates comme républicains comme Maria Cantwell, Debbie Stabenow, Pat Roberts et Kit Bond.
Enfin, le débat des aides publiques s’invite lui aussi à la fête. Des élus américains auraient ainsi demandaient à Barak Obama de ne pas attribuer cette vente à Airbus en raison des aides dont l’avionneur dispose de la part des États européens. La décision finale de l’OMC sera rendue en juin et devrait influencer l’Air Force toujours officiellement en charge du choix de son avion. Chez Boeing, on mettra aussi en avant les difficultés rencontrées par les programmes A400M ou A380 pour influencer le choix futur.
Protectionisme et politique étrangère sont au menu.
Or, cet élan protectionniste ne tiendra peut-être pas longtemps face à EADS-Northrop Grumman. Jouant la carte de l’entreprise patriotique par excellence, les Américains se rappelleront peut-être de tous les écarts faits par l’entreprise ces dernières années. Ventes d’armes et de technologies illégales à l’étranger, aides publiques, négligences de maintenance sur des appareils en service dans les armées américaines ou irrégularités avérées ne serait-ce que lors du premier appel d’offres. Boeing a été condamné à quatre reprises en 2000 (54M$), 2007 (1M$), en août puis en novembre 2009 (2M$ et 25M$). Si le conflit dérape sur la sphère politique, EADS et Northrop Grumman auront aussi de quoi en redire. En attendant, Boeing compte bien conquérir l’opinion publique avec notamment la mise en ligne du site unitedstatestanker.com vantant les mérites de son produit.
Avec le changement d’administration, nous verrons bien si cet élan patriotique s’atténue. La mise en service d’un avion européen dans la flotte américaine revêt inévitablement une forte dimension politique. Au-delà des États-Unis c’est l’avenir des relations transatlantiques qui se joue. Les États-Unis décideraient ainsi de s’enfermer dans un protectionnisme avéré tandis que l’Europe chercherait ailleurs des débouchées pour son matériel d’aéronautique et de défense. Les embargos sur la Chine ou le Liban ne sont pas loin.
Les relations déjà parfois tendues entre les États-Unis et l’Europe n’en seraient qu’exacerbées. Notamment au sein de l’OTAN, la coopération subirait des frictions importantes. Or, Barak Obama et son administration souhaitent un réchauffement des relations entre les deux continents. La décision de choisir EADS-Northrop Grumman ou Boeing relève alors plus de la politique étrangère que de la simple mise en concurrence.
Michael Colaone.
A lire aussi : Lancement du nouvel appel d'offres pour l'USAF. Northrop et EADS sont-ils prêts à en découdre ? ou, Le contrat des tankers bientôt relancé dans un contexte de plainte devant l'OMC.