Nous avons consacré une série d’articles sur les interrogations qui subsistent autour de la vente, hypothétique du Rafale au Brésil. Dans les prochains mois, la bataille pour ce contrat de 36 appareils pour le renouvellement de la flotte de l’armée de l’air brésilienne va passer dans sa phase finale. Entre négociations bilatérales franco-brésiliennes, lobbying acharné des Etats-Unis, déclarations politiques contradictoires et bien-sûr joutes informationnelles, le contrat est encore loin d’être acquis pour Dassault. Le contrat est en tout cas symbolique pour l’industrie de l’armement française en Amérique du sud. Un marché de plus en plus porteur puisque le continent se réarme petit à petit et qui fait d’ailleurs craindre une nouvelle course aux armements dans la région (Vous pouvez d’ailleurs lire l’article d’Opex360 sur le sujet).
Suite aux révélations faites par Les Echos (disponibles ici), on en sait un peu plus sur les dessous de l’affaire qui se trame en ce moment à Brasilia. Les Etats-Unis ne sont pas encore disposés à laisser filer un contrat stratégique pour le maintien de leur zone d’influence en Amérique du sud et mettent en action leur machine de guerre. Le formidable réseau d’influence américain s’est réveillé et la dernière visite de Nicolas Sarkozy, qui aurait pu se solder par la signature du contrat aurait surtout pu échapper aux Français. Lors d’un entretient téléphonique dans la semaine précédent le voyage du président Sarkozy, le président Lula aurait d’ailleurs fait part de son choix pour le Rafale mais, demeurait hésitant quant à la meilleure façon de l’annoncer. Si le choix du président brésilien et de son ministre de la défense ne faisait alors guère de doute, l’homme clé et manœuvre de Washington qui va semer le doute sera le chef d’état major de l’armée de l’air, le général Saito. Absent alors que cette négociation clé à lieu, il oblige Paris et Brasilia à patienter.
Cet élément révélateur de la stratégie de Washington pour déstabiliser les négociateurs français, pourrait ressembler à une manœuvre quasiment désespérée pour laisser une dernière chance à Boeing et pourtant, le timing est parfait. Les Etats-Unis sont finalement rentrés assez tard dans la course qui se résumait au match Rafale/Gripen en raison de son changement d’administration, va alors reprendre les choses en main. Le président Obama ne souhaite pas s’en laisser compter au Brésil par les Français et va, toujours selon Les Echos, appeler son homologue le président Lula pour lui indiquer, sans confirmation que les Etats-Unis iront loin en matière de transfert de technologies, et qu'il se porte garant du Congrès.
Pendant ce temps, on apprend que Boeing aurait distillé des informations négatives au sujet du Rafale, des informations parfois absurdes. Jouant dans un rapport du faible au fort comme toujours face aux Etats-Unis, Dassault est obligé de reprendre certains de ces éléments pour confirmation auprès des Brésiliens mais le mal est fait et le doute fait son apparition. Selon le journal, un haut responsable brésilien aurait présenté des éléments nettement défavorables au Rafale au président Lula et à son ministre de la Défense. Pour lui, l'heure de vol ressortirait à 21.000 dollars, près de 3 fois plus cher que celle du F/A-18, pourtant plus lourd. De plus, selon ce responsable, il aurait fallu au Brésil débourser 70 % du contrat avant de toucher le premier appareil. Appuyé par un nouveau coup de fil du président Obama confirmant que le Congrès serait finalement disposé aux échanges de technologie, le rapport du haut fonctionnaire porte, malgré l’absurdité de ce dernier. Sur des contrats aussi stratégiques, même les ficelles les plus grosses suffisent à faire apparaitre le doute dans les esprits. Le tout étant de le faire au bon moment et avec la bonne personne. Inutile de rajouter que les Américains sont passés maîtres dans cette discipline.
Pour information, le prix de l'heure de vol du Rafale indiquée par le haut fonctionnaire brésilien est erronée. Pour la marine et l'armée de l'air française par exemple, l'avion de combat Rafale, qui a vocation à devenir le chasseur polyvalent commun à ces deux armées, et dont le coût de soutien est actuellement de 35 000 € à l'heure de vol devrait, selon le ministère de la défense, voir son coût de soutien diminuer jusqu'à atteindre le niveau de 10 000 € à l'heure de vol pour le Rafale « Air » et 7 000 € pour le Rafale « Marine » en 2012. Il est logique qu'un tel appareil, dont l'entretien pâtit actuellement du double handicap de sa jeunesse et du faible nombre d'exemplaires en service, voie ce coût diminuer avec la croissance du nombre d'exemplaires en service et l'achèvement de sa mise au point. Par ailleurs, cet appareil a été conçu pour permettre une maintenance au moindre coût (contrôle automatisé des dysfonctionnements, par exemple)(source Sénat). Le coût d'exploitation, véritable challenge pour un avion de chasse tend donc à diminuer au fil des ans pour être de plus en plus compétitif. De son côté, le F/A-18 plus lourd et plus puissant ne peut compenser que par un nombre d'exemplaires en service plus important et par son entrée en service bien plus ancienne.
Ainsi, la France repart du Brésil avec un engagement pour des négociations mais sans garanties définitives de vendre son avion. Un accord quasiment arraché dans la nuit qui précéda les cérémonies officielles puisque, Nicolas Sarkozy fut réveillé durant la nuit afin de signer l’accord, une fois les derniers points clarifiés et garantis par Dassault auprès des Brésiliens.
Depuis, on pourrait croire que les négociations ouvertes auraient calmées les ardeurs des Américains mais il n’en est rien. Officiellement, les deux autres candidats que sont le Gripen et le F/A-18 restent toujours en course puisque Nelson Jobim leur a proposé de revoir leur offre. L'avionneur américain a promis 5.000 emplois au Brésil si son F/A-18 était choisi, son concurrent suédois s'est déclaré prêt à casser les prix de son Gripen de nouvelle génération. Selon les sources, le rapport que doit encore remettre la commission d’évaluation de la FAB (déjà repoussé) sera déterminant. Devant le sénat, le ministre de la défense parle en tout cas d'un appareil aux performances jugées bonnes. Ici aussi on peut craindre que les conclusions de ce rapport soient une nouvelles fois orientées. Cependant, le président Lula annonce une décision principalement politique, une décision qu’il prendra lui-même. Or, de ce côté-là la France a fait l’effort d’afficher sa propre indépendance et son désir de coopérer avec les Brésiliens. Le 16 septembre, le ministre de la défense Nelson Jobim a une nouvelle fois déclaré que le Rafale avait la préférence de son pays en raison du transfert de technologie total proposé. Si la France tient ses engagements et propose un prix équivalent aux exemplaires achetés par l’armée de l’air française (le prix étant l’éternel problème du Rafale puisque le prix unitaire de l'avion s'élève à près de 100 millions d'euros), M. Jobim affirme que l’avion de Dassault remportera ce premier appel d’offres. Dassault avait jusqu'au 21 septembre pour présenter ses nouvelles formalités d'offres notamment sur le prix des avions. L'avionneur a finalement remit son offre finale aujourd'hui même. Le ministre a également dit à plusieurs reprises que les Etats-Unis ne donnaient pas la même assurance de transfert de technologie même si, dans le cas du F/A-18, ils ont affirmé qu’ils transféreraient la technologie "nécessaire". "Je suis avocat et je travaille avec la jurisprudence. Les précédents que j’ai des Etats-Unis sont mauvais", a souligné le ministre.
C'est le 23 octobre, à l'occasion du 104ème anniversaire du vol de Santos-Dumont, grande fête aéronautique nationale, que devrait être annoncé le vainqueur de la compétition.
MC.