Cet article fait suite à notre article précédent sur cette affaire : Le 7 septembre, le Rafale fait un pas de géant au Brésil, mais à quel prix ?
Sur la question des transfères de technologie, la France se serait montrée plus que convaincante pour le président Lula et c’est d’ailleurs ce qui aurait précipité son choix. Si l’on savait depuis quelques mois déjà que cette question serait très certainement la clé de voute de ce contrat, on ne pouvait pas encore estimer l’étendue de ce transfuge. Aujourd’hui, l’Elysée semble assez fière d’annoncer que c’est la totalité de la technologie du Rafale (apparemment jusqu’au code source de l’avion nécessaire pour l’intégration des systèmes d’arme brésiliens) qui sera envoyée au Brésil. Le PDG de Dassault, Charles Edelstenne confirme dans le Monde de jeudi : "Ils (les Brésiliens) souhaitent acquérir des connaissances dans le matériel électronique embarqué pour maîtriser l'évolution de leur Rafale et fabriquer leur avion de transport militaire. Nous allons donc leur fournir ces technologies et nous les accompagnerons dans des développements futurs". Pourtant, on comprend mal comment on peut être fier d’une telle manœuvre puisqu’en dehors du profit sur le court terme que représente l’hypothétique vente de ces 36 Rafale, qu’en sera-t-il des futures compétitions internationales ?
Le désir des Brésiliens de se doter des moyens de construire eux-mêmes des avions de dernière génération n’est pas un mystère. Avec cette acquisition à prix réduit, en comparaison des coûts de développement engagés dans la conception de l’avion en France, la France déroule le tapis rouge à cette autonomie. Si un tel comportement nous semble rationnel s’il est de moindre intensité vis-à-vis du désir de la France d’aider un allié politique pour se sortir de la domination des Etats-Unis et pour assoir sa domination sur l’Amérique du sud (augmentant ainsi l’influence française au Brésil), on comprend moins la vision étriquée et court terme de la manœuvre actuelle. En vendant la totalité de la technologie de pointe française au Brésil, il ne fait aucun doute que demain ils seront en lice contre nous pour la vente d’avions de cette même génération. Ceci malgré les déclarations de M Edelstenne pour qui, cet accord ne fera pas pour autant naître un concurrent puisque les Brésiliens "seront équipés jusqu'aux alentours de 2050". On pourrait cependant se rassurer en se disant que la France garde toujours une longueur d’avance (mais pour quoi faire vu que des projets tels que le F-22 piétinent ou que les anciennes générations d’avions tel que le F-16 sont toujours d’actualité ?). Cependant, personne ne semble avoir encore eu vent de la prochaine génération d’avions de chasse tricolores, qu’il faudra environ 10 ans à mettre au point et encore plus à mettre en service. N’oublions pas que le Rafale vient tout juste d’arriver à maturité alors qu’il a effectué son premier vol le 4 juillet 1986.
La France accepte ainsi de transférer sa technologie au Brésil "à un niveau sans précédent" explique l'Elysée. D'après nos premières informations, l'avion devait d'ailleurs être construit au Brésil et non dans l'usine Dassault de Mérignac en Gironde (hormis les six premiers exemplaires le temps d’effectuer les préparations des lignes d’assemblage au Brésil). Aujourd'hui, M Edelstenne affirme écarte l'idée d'une telle délocalisation de la production. "Nous ne créerons pas de site sur place. Les Brésiliens sont surtout demandeurs de transferts de technologie. Cependant, il est évident qu'à terme des Rafale seront assemblés dans leurs usines", rajoute t'il tout de même. Une belle opération pour la France mais on se demande de plus en plus pourquoi…
A ceci prêt que les retombées en termes d’emplois, même limitées existent. Pour l’instant les lignes d’assemblage françaises tournent au ralenti, le seul contrat avec l’armée de l’air française ne suffisant pas à les faire tourner au maximum. Avec l’arrivée en commande de ces 36 Rafale à produire dans l’hexagone (admettons), les mesures de chômage partiel actuellement en vigueur ont de bonnes chances d’être levées. On pense également que du personnel sera envoyé au Brésil pour soutenir Embraer. M Edelstenne parle alors de "6.000 emplois sur quatre ans puis 1.500 à 2.000 pendant vingt-cinq à trente ans". Les retombées économiques pour Dassault et le tissu industriel français seront également intéressantes. Indirectement, la vente de ces appareils devrait maintenir un niveau d’activité chez bon nombre de sous-traitants mais aussi chez Dassault. La France conforte également sa place de quatrième marchand d’armes dans le monde. Une position stratégique pour elle, alors que son chiffre d’affaire dans le domaine est cette année estimé à 7 milliards d’euros.
Comme le précise Hervé Morin, "la négociation va désormais s'engager en priorité avec le Rafale. Il va y avoir une discussion qui va porter à la fois sur le financement du programme, sur les transferts technologiques, sur les processus industriels, sur les coopérations industrielles, sur le système d'armes que l'on y met et le contour de la prestation fournie par l'industriel". Espérons alors que nos craintes soient tout simplement balayées du revers de la main.
MC et EM.