Reportage - Le 9 mai dernier, jour de la fête de la Victoire en Russie, le monde de l'aéronautique a connu un événement dramatique : un SuperJet-100 avec 45 passagers à son bord s’est écrasé contre le versant d’un volcan en Indonésie.
L’avion fabriqué par le constructeur russe Soukhoï effectuait sa première tournée de promotion dans six pays d’Asie. Avant qu’il arrive en Indonésie, l’équipe d’Aéroplans a eu la chance de le visiter à l’occasion de Kadex 2012, le salon d’armement du Kazakhstan (3-6 mai 2012).
Une visite qui nous aura conduit à une démonstration en vol dont vous pouvez découvrir les photos et vidéos tout au long de cet article mais aussi sur Flickr :
http://www.flickr.com/photos/aeroplans/sets/72157629936373312/
Imposer un nouvel avion russe, le SSJ-100
Le SSJ-100 avait déjà fait partie de nos analyses dans le passé, mais la visite de Kadex et l’accident du 9 mai sont l’occasion de revenir aujourd’hui sur les problématiques de la pénétration de nouveaux acteurs dans le marché des avions commerciaux. On rappelle ici les caractéristiques les plus importantes de cet avion.
Le Projet d’avion Régional Russe (PRJ en Anglais) a été lancé en 2001 et il est le premier produit civil de Soukhoï. L'entreprise se sert du bureau technique de Moscou et des deux usines de Novossibirsk et Komsomolsk pour concevoir et industrialiser ce nouveau produit.
Cet avion "Made in Russia" incarne une approche industrielle fondée sur des partenariats très forts avec les sociétés occidentales du secteur. Un partenariat que le personnel de Soukhoï nous confiera être un peu difficile à gérer.
Le biréacteur est ainsi propulsé par des PowerJet SaM-146, qui sont le fruit d'une coopération entre Snecma Moteurs et le russe NPO Saturn. Ils ont une portée maximale de 4 420km et confèrent au SSJ-100 une consommation inférieure de 2% par rapport aux autres avions.
Thales est également de la partie pour l’avionique puisque le SSJ-100 est aussi le premier avion de transport régional doté de commandes de vol électriques - systèmes fly-by-wire - et du système Avionics Full Duplex déjà utilisé sur le B787 et l'A380. Enfin, Finmeccanica (Alenia) est le partenaire de Soukhoï pour la partie marketing (ventes et après-ventes). Les deux entreprises ont fondé en 2007 une joint-venture pour la commercialisation de l’avion.
Un objectif, faire revenir la Russie au premier plan mondial
Ce programme devrait permettre à la Russie de réintégrer le marché aéronautique mondial avec, comme première étape, le marché des avions régionaux actuellement dominé par Embraer et Bombardier. Un des principaux arguments de Soukhoï est de dire que son avion pourra s'imposer grâce à des coûts opérationnels inférieurs du 10% par rapport à la concurrence.
Le SSJ-100, dont le développement aura coûté près de 1,4Md$, est le premier résultat du vaste et ambitieux projet de relance de l’aviation civile lancé par la Russie dans les années 2000. Le but étant de conquérir environ 17% du marché des avions régionaux de 100 places dans les vingt ans à venir.
Le premier vol a eu lieu le 19 mai 2008, mais déjà au cours de la première année du lancement du programme, des problèmes liés à la production en série des moteurs par NPO Saturn ont apporté du retard dans le processus de certification russe (février 2011) et européen (février 2012). En 2011 a eu lieu la première livraison. A ce stade, Aeroflot a six aéronefs en service et trente ont été commandés. On retrouve le SSJ-100 sur les trajets Moscou-Oslo, Moscou-Bucarest, et chez Armavia Airlines en direction de Barcelone et Milan. Des compagnies étrangères ont déjà passé commande, parmi eux on peut citer : Indonésie Kartika Airlines (15), Interjet au Mexico (15), Bermudes Pearl Aircraft (6), et l’Italienne Blue Panorama (8).
Selon le commercial rencontré à Astana, le prix d'un exemplaire de l'avion tourne autour de 30M$ et est ainsi défini comme le moins cher des avions régionaux. La version montrée lors du salon avait déjà volé plus de 50 fois. Elle était utilisée en ce moment pour passer des essais pour une certification en conditions de températures extrêmes. Les versions business et VIP (8 et 38 sièges) sont actuellement en cours de réalisation et sont prévus pour 2014 afin d'avoir à terme une véritable « famille » SSJ.
En vol à bord du SSJ-100 !
Comme nous vous le disions, nous avons eu la chance d'effectuer un vol de démonstration dans le ciel d'Astana. Un vol de 40 minutes pimenté par un touch and go plutôt sympathique. La sensation ressentie pendant le vol du SSJ-100 (numéro de série 95005) en configuration 98 sièges fut celle d’un aéronef silencieux et bien construit.
Les espaces intérieurs, réalisés par la société américaine BE Aerospace, ont un design assez minimaliste mais toutefois les sièges sont plus larges que ceux des autres traditionnels CRJ et E-Jets, et ils offrent un confort similaire à celui des monocouloirs. La vision du cockpit que vous pouvez voir sur nos photos sont elles aussi significatives d'un appareil moderne né d'un partenariat avec des entreprises bien connues.
Un crash remettant en cause les efforts russes ?
Après le salon, l’avion a pris son envol d’Astana pour rejoindre le Pakistan, puis le Myanmar, avant d’arriver en Indonésie. Les dernières étapes du programme avant de rentrer en Russie étaient le Vietnam et le Laos.
Selon les responsables russes, l'avion n°95005 avait eu des problèmes moteur le 6 mai, et il a été remplacé par le n°95004 pour continuer la tournée asiatique. Le 9 mai à 14h30, lors d’un vol de démonstration au départ de Jakarta, le SSJ-100, demande l’autorisation de descendre de 10 000 à 6 000 pieds et il entame un virage en descente près du volcan Salak d’une altitude de 6 200 pieds (1 890m). Après quelques instants, l’avion disparaît des écrans radar. Il s’écrase en percutant la forêt du volcan à 1 600m d’altitude et à 59km sud de Jakarta.
La cause officielle demeure inconnue, mais il est probable que ce soit une erreur de pilotage. L'appareil était piloté par Aleksandr Yablontsev, ancien cosmonaute russe. Selon des experts de l’Institut National de l'aéronautique indonésien, le volcan Salak était entièrement couvert par les nuages au moment de l’accident. Certaines sources parlent également d’une panne du système d'avertissement d’obstacles TAWS (Terrain Avoidance Warning System). Il y a aussi qui, un peu nostalgique de la guerre froide, n'écarte pas la piste du sabotage industriel ordonné par les Etats-Unis. Dans un article titré "Les Américains sont-ils impliqués dans le crash du Superjet", le journal populaire Komsomolskaïa Pravda cite des sources au sein des services secrets qui relèvent que la Russie « suivait depuis longtemps les activités de l'armée de l'air américaine à l'aéroport de Jakarta ».
A ce stade la première boîte noire a été retrouvée le 13 mai et la deuxième est toujours recherchée. Les autorités indonésiennes sont en phase de déchiffrage et en même temps une commission russe a lancé une enquête sur l’accident.
L’avion avait à son bord 45 personnes dont 8 Russes (membre de l’équipage et personnel Soukhoï), ainsi que 37 citoyens d'autres pays donc un Français travaillant pour la société Snecma.
Cet accident pourrait avoir des répercussions sur le nombre de commandes, mais pour le moment Aeroflot a officiellement déclaré ne pas renoncer à ses commandes. Cependant nous sommes en droit de penser que cet accident ne va pas aider l’industrie civile russe qui n'a pas connu de succès depuis 1991 et ajoute des incertitudes sur la réussite de ce programme. Ceci, tout du moins, temps que les causes de la catastrophe ne seront pas connues.
L'équipe d'Aeroplans.fr souhaite également présenter ses condoléances aux familles et proches des victimes de cet accident. Nous avions eu le privilège de rencontrer certains d'entres eux lors de notre visite à Astana. Nos meilleurs souvenirs vous accompagnent.