L’univers aéronautique japonais est en pleine ébullition. Entre projets d’envergure, ouverture à l’international, pertes abyssales et stratégies douteuses, l’archipel nippon prépare son futur sans que l’on sache encore s’il sera radieux ou désastreux.
Nous aborderons tout d’abord les difficultés croissantes auxquelles doit faire face la première compagnie aérienne du pays, la Japan Airlines (JAL). Entre reprise et mainmise de l’état, la compagnie pourrait bien abandonner tout ou partie de ses vols internationaux. D’un autre côté, le second transporteur japonais, All Nippon Airways (ANA) continue de grandir et pourrait bien prendre la place de sa grande sœur. Ceci alors que le Japon continue d’affirmer son désir de produire son propre avion de ligne régional, le Mitsubishi Regional Jet (MRJ). Dans le domaine militaire enfin, nous verrons que le Japon pourrait bien céder au mirage F-35 puisque Washington étudierait la possibilité d’intégrer le pays dans le programme de développement multinational du futur appareil de nouvelle génération.
Et un typhon s’abattit sur la JAL.
Depuis quelques mois déjà, nous savons que la sublime Japan Airlines est dans une situation très délicate. Réalisant des pertes abyssales principalement sur ses vols internationaux, la compagnie hésite entre une prise de participation par un transporteur étranger et un repli stratégique vers ses lignes domestiques jugées rentables. Depuis quelques jours, on parle même d'un dépôt de bilan. La nouvelle a aussitôt entrainé une perte de 23,86% du cours de l'action Japan Airlines à Tokyo. La solution initiale de reprise partielle semble donc aujourd’hui assortie de certaines solutions contradictoires. En effet, dans le cas où un transporteur étranger voudrait prendre une participation minoritaire dans le capital de la JAL, l’intérêt principal pour ce dernier aurait été d’obtenir un accès privilégié au réseau asiatique de la compagnie nippone. Quid de cette décision ? Nous n’avons pas eu vent d'une quelconque réaction officielle de la part de Delta, American Airlines ou Air France-KLM à la suite de cette annonce pourtant importante.
Celle que l’on qualifie encore de seconde compagnie nationale, ANA, pourrait profiter de cette quasi faillite pour prendre une position dominante sur le marché japonais. La compagnie semble en tout cas bien se porter. Encore au mois de décembre, le transporteur a passé commande de 10 appareils à Boeing. Une commande de 1,9 milliards de dollars portant sur cinq 777-200 et cinq 767-300 pour rajeunir sa flotte et la rendre plus économique. Une stratégie toujours agressive pour une compagnie à l’image d’ores et déjà plus dynamique que la JAL. Dans le cas d’une suppression totale ou partielle des vols internationaux de sa grande soeur, c’est ANA qui reprendrait à son compte ces vols. La route vers la première place du podium ne serait alors plus très longue.
C’est une mauvaise nouvelle pour l’ensemble de la filière aéronautique japonaise. Alors que cette dernière avait pourtant annoncé prendre le taureau par les cornes en se lançant même dans un bras de fer avec Bombardier au sujet du lancement imminent du MRJ, les difficultés rencontrées par le premier transporteur national fragilisent certainement l’optimisme ambiant. Avec la montée en volume de la compétition chinoise, les Japonais ont pourtant des cartes à jouer mais encore faudra t’il en avoir la force. Le redressement de la JAL est en tout cas jugé « possible » par ses dirigeants qui s'opposent à la mise en faillite de la compagnie. La Development Bank of Japan (DBJ) a d'ailleurs accepté d'augmenter le montant des prêts non garantis en attendant d'y voir plus clair. "Un dépôt de bilan nous nuirait et nous perdrions des clients. Si nous perdons la confiance des clients, la restructuration sera difficile et cela sera un handicap pour l'ETIC (Entreprise Turnaround Initiative Corporation of Japan)", estime Haruka Nishimatsu, président de la JAL.
Pour ce qui est de la mise en place d'un partenariat avec une compagnie tiers, Haruka Nishimatsu dit également préférer Delta Air Lines comme partenaire international à American Airlines. Un certain revirrement de situation alors que l'on pensé qu'American Airlines partait favorite. Au delà d'une victoire pour Delta, c'est pour l'alliance Sky Team que cette reprise partielle serait une victoire. L'alliance menée par Air France - KLM pourrait alors avoir accès au précieuses lignes asiatiques de la JAL. Cependant le changement serait lourd pour un changement de One World vers Sky Team mais, M Nishimatsu semble y avoir bien réfléchi : "Un transfert vers SkyTeam entraînerait une procédure lourde de changement de systèmes mais, il nous faut réféchir à la valorisation ou non de l'Asie. De ce point de vue, SkyTeam comporte beaucoup de membres asiatiques". Japan Airlines a dit qu'elle prendrait une décision sur l'identité de son partenaire international au début du mois de janvier. Affaire à suivre très prochainement donc.
Le rêve du F-35 s’empare de l’archipel nippon.
Avec les difficultés de la JAL, le combat à mener pour la survie du MRJ et son désir de devenir une force aérienne majeur dans la région, le Japon a du pain sur la planche. L’ambition est belle mais il ne faudrait pas que le pays s’égare dans des projets hasardeux. Depuis des années maintenant, le programme annoncé comme révolutionnaire de l’armée américaine pour le développement de son futur avion multirôle de nouvelle génération est de plus en plus discuté. Après l’abandon du F-22 Raptor, révélateur des difficultés économiques des Etats-Unis, et l’augmentation infinie des coûts de développement du F-35, les retards inhérents à ces difficultés font du programme F-35 un sac de nœuds parfois embarrassant pour ses participants. Pourquoi vouloir se lancer dans cette aventure alors que d’autres appareils pourraient satisfaire aux besoins japonais ?
Comme éléments de réponse principaux, on imagine que l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et le Japon joue pour beaucoup. Or, depuis le changement d’administration dans l’archipel, on aurait put croire que les Japonais iraient voir aussi ce qui se passe ailleurs. Ensuite, le Japon a toujours voulu s’imposer comme la nation la plus en vue dans sa maîtrise des technologies de pointe. Or, si on doit bien admettre quelque-chose au sujet du F-35, c’est bien son niveau technologique, qui en fait un avion de nouvelle génération.
Face à la montée en puissance de la Chine, militairement parlant, le Japon n’a pas d’autre choix que de se doter de la meilleure arme possible et surtout, de la plus impressionnante. Le F-35 ne trouve alors plus beaucoup de rivaux en dehors du Rafale, éventuellement de l’Eurofighter ou d’autres appareils américains. Les appareils russes semblent être une option régulièrement écartée. Peut-être pour des raisons culturelles ou, tout simplement pour l’aide volontaire et involontaire que la Russie apporte au développement de la flotte chinoise. Dans tous les cas, l’adhésion au programme permettrait au Japon d’acquérir certains de ces avions avant les autres nations du monde. Rappelons que le F-22 par exemple, est toujours interdit à l’exportation hors des Etats-Unis.
Le choix de participer au programme multinational de développement de cet avion semble ainsi assez compliqué pour le Japon. Si les arguments en faveur de l’adhésion des Japonais ne manquent pas et sont parfois pertinents, les coûts que représente ce dernier semblent difficiles à supporter pour un pays qui aura notamment prit la crise de plein fouet et dont les perspectives de croissance restent à démontrer.
L’attitude est belle cependant. On aimerait voir autant d’optimisme et de combativité dans d’autres pays. Pour les Etats-Unis en tout cas, l’entrée du Japon serait certainement bien vue. Après l’envolée des coûts évoquée plus avant, l’idée de répartir ces surcharges avec un nouveau participant ferait surement plaisir aux comptables de Washington. Reste que si le Japon participait à ce programme, il pourrait toujours se réconforter en se disant qu’il pourra acquérir des F-35 à un « prix préférentiel »…
Michael Colaone.