C’est la petite phrase que personne n’aime entendre lors d’une chronologie de lancement Ariane. Elle annonce que l’heure du tir est reportée d’une durée indéfinie, et qu’aucune solution technique n’y changera quelque chose. Petit reportage pour comprendre ce qui se cache derrière tout ça…
Le Centre Spatial Guyanais dispose d’importants moyens aux standards Météo France pour prévoir et analyser les phénomènes météorologiques. L’objectif est double, car on cherche à protéger non seulement le lanceur lui-même, mais aussi (surtout ?) les populations environnantes.
La sécurité du lanceur
Le risque de foudroiement au sol (critère C1)
Quand il est en Zone de Lancement, le lanceur est exposé au risque de foudroiement au sol. Quatre grands mâts paratonnerres reliés entre eux à leurs sommets par un câble électrique forment une immense cage de Faraday, protégeant tout ce qu’ils entourent des champs électriques.
Mais cette protection n’est pas sans faille, et le CNES s’interdira de sortir le lanceur de son Bâtiment d’Assemblage (le BAF pour Ariane 5, le MIK pour Soyouz-ST) si le champ électrostatique au sol dépasse le seuil de 1kV/m, au-delà duquel le risque de foudroiement est jugé trop important.
Cette mesure préventive est aussi justifiée par le fait que le lanceur n’est pas protégé par sa cage de Faraday lors de son transfert du bâtiment d’assemblage vers la Zone de Lancement.
Lors des campagnes Soyouz, le Composite Supérieur contenant l’étage Fregat et le(s) satellite(s) doit parcourir une très grande distance, puisqu’il est préparé dans les Ensemble de Lancement Ariane, situés à plus de 13km de la Zone de Lancement Soyouz. Si un orage venait à éclater pendant ce transfert, le Composite pourrait se réfugier dans une petite cage de Faraday installée sur le site d’observation Colibri, situé 5,4km en amont de la zone Soyouz.
Pour mesurer le champ électrostatique au sol en différents points à l’intérieur et autour du CSG, le CNES dispose d’une dizaine d’appareils appelés « moulins à champ » (MAC), dont les données sont centralisées à la station météo du CSG, située à mi-chemin entre le bâtiment de préparation des satellites (S5) et le pas de tir Ariane 5. Les radars météos, dont on reparlera plus tard, participent également à la prévision du risque de foudroiement.
La présence du risque de foudroiement au sol valide ce qu’on appelle le critère C1, qui apparaît alors sur l’écran du Directeur des Opérations (DDO) en salle de contrôle Jupiter 2, impliquant le passage au rouge du critère météo.
Le risque de foudroiement en vol (critères C2 et C3)
Immédiatement après son décollage, le lanceur n’est évidemment plus protégé par ses paratonnerres. Pendant quelques dizaines de secondes, il reste pourtant très vulnérable au risque de foudroiement. On ne peut alors s’en protéger que par des moyens préventifs.
Tout d’abord, les météorologues du CSG disposent d’un radar, appelé ROMUALD, qui leur permet d’observer les nuages dans un rayon de plus de 200km autour de la base. ROMUALD, qui est un acronyme pour Radar d’Observation Météorologique d’Utilisation Aisée Localement et à Distance, est positionné au sommet de la Montagne des Pères, sur le site du Grand Leblond, à quelques kilomètres du CSG. Il a été inauguré en octobre 2001 et remplace l’ancien radar RODIN, situé sur le toit de la station météo, qui peut toujours être utilisé en secours.
Ces moyens radars permettent de détecter tout nuage dont le sommet dépasse les 6 500m d’altitude. Pourquoi ce seuil ? Parce qu’au-delà de 6 500m, on considère que la température est inférieure à -10°C, et que les nuages abritent probablement des cristaux de glace. Ces cristaux se frottent les uns contre les autres et génèrent de l’électricité statique, qui représente un sérieux danger pour un lanceur spatial.
La présence d’un tel nuage dans un rayon de 10km autour de la Zone de Lancement est rédhibitoire, c’est le critère C2.
Un autre phénomène peut entraîner le foudroiement du lanceur en plein vol. Il s’agit de la présence simultanée d’un nuage d'orage (cumulonimbus) et d’un « cirrus ». Un cirrus est un nuage formé principalement de cristaux de glace évoluant en haute altitude. S’il est combiné à un nuage très étendu dans la hauteur, une interaction entre les deux créée un fort champ électrostatique.
Or, il faut savoir que la traînée que laisse le lanceur derrière lui conduit l’électricité. Si le lanceur traverse le cirrus chargé électriquement, il se produira alors le même phénomène que si vous touchez une ligne haute tension sans être équipé de chaussures isolantes…
La présence simultanée d’un cirrus et d’un nuage culminant à plus de 6 500m est donc elle aussi rédhibitoire pour un lancement au CSG, et ce dans un rayon de 20km autour du pas de tir. C’est le critère C3.
Les vents en Zone de Lancement
Comme les avions, les lanceurs spatiaux ne peuvent pas décoller par des vents trop importants. Ariane 5, par exemple, ne quittera pas le sol si le vent souffle à plus de 10m/s. Soyouz a quant à lui une tolérance très légèrement plus grande, et il dispose par ailleurs d’un nouveau mât installé juste à côté du pas de tir.
Une nouveauté : le risque de prise en glace
L’arrivée en Guyane du lanceur russe Soyouz-ST a induit un risque qui n’existait pas avec Ariane 5 : la prise en glace. Soyouz ayant été conçu pour des climats radicalement différents de celui auquel il est confronté en Amazonie, il réagit mal aux précipitations.
Ses réservoirs contiennent en effet de l’oxygène liquide à environ -180°C, ce qui conduit inévitablement à la formation d’une couche de glace sur le fuselage. Ce phénomène se produit également sur Ariane 5, mais dans une moindre mesure, le lanceur russe n’ayant pas une isolation thermique aussi performante.
Le TsSKB Progress de Samara, maître d’œuvre de Soyouz, a réalisé des essais pour reproduire les conditions guyanaises. Il s’est avéré que des pluies trop importantes pouvaient conduire à la formation d’une couche de glace de plusieurs dizaines de centimètres !
Les vibrations du décollage provoquant la dislocation et la chute de la glace, un réel danger existe pour le lanceur. En 2000, lors de l’un des deux lancements Cluster 2, un bloc de glace s’était détaché du troisième étage (Bloc I) et avait percuté la base du premier étage, déconnectant les câbles qui relient l’un des quatre blocs latéraux au corps central (Bloc A). Cet incident aurait pu conduire à la perte totale de la mission, et le TsSKB Progress a mis en place des mesures correctives visant à renforcer les liaisons électriques à la base du lanceur.
Ces modifications devraient pouvoir assurer que la glace n’est plus une menace mais, pour l’instant, elles ne sont pas encore validées. Le CNES a donc mis en place un critère d’interdiction de lancer si les précipitations au cours des 90 minutes précédant le H0 dépassent les 25mm (l’instant 90 minutes correspond au retrait du portique mobile MBO qui protège le lanceur).
En théorie, le TsSKB Progress devrait apporter très prochainement le résultat de ces travaux, et à partir du vol VS03 ce critère ne devrait plus être nécessaire, et sera donc supprimé.
La sécurité des populations
Les vents côtiers
Si le lanceur et sa charge utile, souvent chargée d’ergols extrêmement dangereux, venaient à être détruits à basse altitude, un risque réel pèserait sur les populations autour du CSG. En théorie, la zone évacuée autour de la Zone de Lancement est suffisamment grande pour garantir l’absence de personnels dans la zone de retombées potentielles.
Mais pour ce qui est de la sécurité, le CNES préfère prendre un maximum de précaution. Suite au catastrophique vol inaugural d’Ariane 5, en juin 1996, deux points d’observations VIP situés très près de la ZL3 avaient été fermés car jugés trop près de la zone dangereuse.
Un autre exemple du danger des retombées était arrivé à Plesetsk, en Russie, le 20 juin 1996, soit très exactement seize jours après ce fameux vol d’Ariane 5. Un lanceur Soyouz-U avait subit un échec, et son satellite militaire Kobalt avait été détruit à très basse altitude. Un nuage d’ergols extrêmement toxiques, mais dont la nature est restée confidentielle, s’est alors répandu autour du pas de tir, et heureusement aucune victime n’avait été à déplorer.
La prévision des vents côtiers autour du CSG est donc un critère très important, pouvant potentiellement générer un Rouge Météo. Pour assurer cette surveillance, le CSG dispos de deux stations de mesure, l’une située à Kourou, l’autre à Sinnamary, la commune voisine.
Les vents en altitude
Même si un échec du type de celui d’Ariane 5 en 1996 est particulièrement spectaculaire, une explosion en haute altitude pourrait être tout aussi dangereuse, car les vents élevés pourraient disperser les débris sur une distance très importante.
A chaque lancement, le CNES réalise donc des lâchers de ballons depuis une petite aire de lancement située à deux pas de la station météo. Equipés de divers capteurs, ils permettent d’établir un profil de vents jusqu’à 30km d’altitude.
D’autre part, les ingénieurs de la Sauvegarde du CSG ont réalisé des « modèles de dislocation » pour chacun des trois lanceurs de la gamme (Ariane 5, Soyouz-ST et VEGA), permettant de prédire avec précision de quelle façon les ergols se disperseraient en cas d’explosion.
Armés du profil de vents et de ces modèles de dislocation, les météorologues sont capables de définir une « tache de retombée », c'est-à-dire de délimiter la zone dangereuse. Si la tache inclut une zone habitée, le lancement n’aura pas lieu, et il faudra attendre que les vents en altitude soient plus propices.
Seule ombre au tableau : le modèle de dislocation de Soyouz-ST est pour le moment incomplet, car les Russes n’ont pas voulu transmettre la composition exacte de la coiffe, qu’ils gardent confidentielle. Peut-être parce que son constructeur, la société Plastik, s’est basée pour la développer sur la coiffe qui équipe le lanceur Proton, concurrent d’Ariane 5 ?
Déroulement des opérations
Lors d’une chronologie de lancement, que ce soit pour Ariane, Soyouz ou VEGA, une équipe de quatre personnes est présente à la station météo, dirigée par un adjoint météo. Le terme « adjoint » signifie que cette personne rend compte directement au DDO grâce à un interphone.
L’équipe comprend également un adjoint à l’adjoint météo, un technicien de maintenance prêt à réparer un matériel défaillant, ainsi qu’un radiosondeur, qui procède au dernier lâcher de ballon à H0-3h10’.
Huit minutes avant le lancement, toute l’équipe se rend dans une partie bunkerisée de la station météo, qui est en effet située à tout juste quatre kilomètres de la Zone de Lancement Ariane 5. C’est toujours le cordonnier le plus mal chaussé !
Tout au long de la chronologie, l’adjoint météo peut valider les différents critères vus plus haut :
- Critère C1 (foudroiement au sol)
- Critères C2/C3 (foudroiement en vol)
- Vents côtiers
- Vents en Zone de Lancement
- Vents en altitude
- Précipitations
L’information apparaît alors en Jupiter 2 sur l’écran du DDO, qui lance le fameux « Rouge météo » interrompant le compte à rebours.
On notera que les météorologues du CSG sont également à l’œuvre lors des transferts du lanceur du BIL au BAF, ou du BAF en ZL3, lors desquels ils fournissent des relevés de foudroiement et de vitesse des vents tous les quarts d’heure.
Toute l’équipe d’Aéroplans adresse ses vifs remerciements à Thierry Vallée, Lorraine Manlay, Marie-Françoise Bahloul, Virginie Baticle et Mario de Lépine pour leur accueil au Centre Spatial Guyanais !